I
maginez un peu : Los Angeles en l’an 2064. À l’encontre des visions traditionnelles de la science-fiction, rien ne semble avoir véritablement changé dans la mégapole californienne. À ce détail près que les morts ont quitté les cimetières et décidé de venir vivre (si l'on peut dire) parmi les vivants. Vous comprenez à présent d’où provient cette odeur épouvantable… Et non contents de participer au surpeuplement de la planète, ces morts ont obtenu du gouvernement mondial des droits qui contraignent les vivants à cohabiter avec eux, au risque de menacer les fondements même de la société !
Tel est l’étonnant argument de cette série dont sort aujourd’hui le premier album, composé de récits parus dans la revue Métal Hurlant. Dès les premières pages, impossible de prendre tout cela au sérieux. Le ton ouvertement parodique est affiché : un honnête père de famille demande à ses enfants de ne pas tirer au fusil… sur leur grand-père maternel venu post mortem se réinstaller chez les siens.
Problématique pour certains, cette situation est pour d’autres l’occasion de s’adonner à une activité originale (à défaut d’être très lucrative). Pitoyables héros de cette série, Carl et Maggie, deux frère et sœur complètement névrosés, capturent entre deux chamailleries, des zombies pour des commanditaires aussi différents les uns des autres : une famille en plein désarroi, un milliardaire qui saisit là l’opportunité d’assouvir des fantasmes étranges ou encore un groupe financier aux ambitions démesurées. C’est l’occasion pour les auteurs de mettre en scène quelques unes des situations incroyables qui naissent de ce formidable « événement ».
Mais au-delà de l’aspect incongru transparaît en filigrane la confusion, voire l’effondrement des valeurs provoqué par le retour des morts qui donne lieu, mine de rien, à une critique sociale bien sentie. C’est enfin un bel hommage à l’œuvre du cinéaste George A. Romero (auteur de la célébrissime Nuit des morts-vivants), mettant à l’honneur ces zombies qu’il a popularisés et dont la principale caractéristique est (rappelons-le) de se déplacer lentement en tenant les bras devant soi et en articulant mal.…
Guy Davis, dessinateur prolifique et protéiforme, est un grand connaisseur de la bd européenne. Son style très expressif retranscrit à merveille ce monde déliquescent et crépusculaire où même les architectures semblent gagnées par la décomposition. Cet univers cohérent, on le doit à Jerry Frissen, un belgo-californien dont la manière est éloignée des recettes scénaristiques habituelles. L’humour qu’il développe relève davantage de « l’entertainment » américain que de l’humour franco-belge. Très à l’aise dans le dialogue où fusent les « répliques qui tuent », il brosse en quelques traits le malaise familial et social d’un XXIe siècle finissant. Il est également l’auteur de la maquette de l’album où il se livre à un travail inventif qui fait écho à l’imagerie qui entoure la série B.
Les Zombies qui ont mangé le monde est donc une série décalée et rafraîchissante à ne pas manquer. La suite sera à découvrir dans Aujourd’hui ton amour, demain le monde.
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