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are à vos nageoires les saumonettes ! Voici venus les playboys de la rivière, les rois de la gaudriole aquatique, les baroudeurs des cours d'eau qui n'ont pas froid dans l'arête (dorsale) : Marsha, monsieur Nale et Josi. Leur but, instinct oblige, est de partir féconder la femelle. Le parcours est loin d'être de tout repos. Torrents vertigineux, grenouille vicieuse, brochets affamés, ours mal léchés, et même... un poisson chaman. Mais le côté casanier de la vie, style écaille contre écaille, c'est pas trop leur truc. Alors, ils décident de partir à la découverte de l'océan.
Le premier contact avec Nage Libre, ce sont ces trois drôles de poissons sur la couverture, qui semblent sortis de la plume d'un dessinateur de la maison "Disney" un peu éméché. Naïvement, on pense immédiatement à un joli conte pour enfants ou à une méthode accélérée pour apprendre le crawl ou la brasse coulée. Heureusement, Josi, l'un des saumons, annonce dès le début que l'album n'est pas à mettre entre toutes les mains, que l'objet du récit tourne autour "de putains de milliers de saumonettes en pleine période d'ovulation, aux nageoires écartées." On imagine alors une histoire gentillette un peu décalée pour adultes consentants, afin de passer un moment sympa près de l'aquarium ou ne plus regarder les poissons rouges de la même façon. Et là encore, on est loin du compte...
Sébastien Chrisostome, auteur d'origine québécoise dont c'est la première bande dessinée, mélange les genres dans un méli-mélo hallucinant et halluciné. Road-movie, ou plutôt river-movie, récit d'aventures dignes d'un Indiana Jones amphibie, humour décalé souvent absurde et qui fait mouche presque à chaque fois mais aussi parcours initiatique avec son lot de questions existentielles. Ce dernier point aurait pu d'ailleurs être lourd voire superflu. Pas dans Nage Libre. Les dialogues sont savoureux, percutants et d'une rare justesse. Le tout passe comme une lettre à la poste, le lecteur se sent comme un poisson dans l'eau.
Le dynamisme est renforcé par un découpage en chapitres, sept au total, qui correspondent, chacun, à une étape du périple des trois saumons. Quant au dessin, il va à l'essentiel. Simple, presque minimaliste, il joue beaucoup sur l'expressivité des visages des personnages, exclusivement animaliers. Les saumonettes sont (presque) sexy, les castors sont poilants, et la gardienne... mais chut, c'est un secret.
L'histoire aurait très bien pu trouver sa place dans la collection Shampooing, chez Delcourt. C'est pourtant un coup de Sarbacane, prouvant si besoin était que cette jeune maison est non seulement capable de découvrir de jeunes talents mais aussi de proposer des ouvrages de grande qualité.
La BD qui m'a ouvert l'esprit et forcé à sortir du classique et du mainstream SF/Heroïc Fantasy.
Je l'ai achetée pour faire plaisir à mon libraire, avec l'impression de gâcher mon temps et mon porte monnaie.
Quelle erreur. C'est cette petite BD anodine, sur 3 poissons et son graphisme un peu moche qui a été le tournant de ma collection et elle garde une place à part.
C'est drôle, c'est fin, c'est un récit sur un voyage initiatique qui amène à se poser des questions sur le sens de la vie. C'est 3 poissons qui prennent une voie différente de ce que leur impose la nature, qui franchissent un point de non-retour et moi, lecteur, je les accompagne pour prendre une autre voie.
C'est une BD qui mérite qu'on s'y attarde.
Trois truculents copains saumons remontent le courant pour aller féconder les saumonettes. C’est le début d’un périple extrêmement réjouissant. On rit à voix haute à maintes reprises !