C
ambodge, fin 1978, le régime totalitaire des Khmers rouges est au bord de l’implosion, tant ses responsables ont poussé la logique de leur mouvement jusqu’à en atteindre les limites - Pol Pot dans Plans for the future : « (...) Nous devons suivre le plan, même à mains nues, nous devons l’accomplir. (...) » -, à quel prix. Zoom sur une DS accidentée dans la nature, à son bord deux frères, l’un a épousé la cause, l’autre la subit. Le dialogue engagé n’offre aucune équivoque sur la rancœur qui a eu le temps de s’installer entre eux, un groupe de soldat se rapproche de la carcasse. Massacres organisés, déplacements de population arbitraires, rapports déshumanisés et profondes blessures psychologiques, le pays, à l’image de ces deux frères, n’est pas prêt de se remettre de cette période de son histoire.
Lendemains de cendres constitue la suite de L’eau et la terre. Particulièrement impliqué puisqu’il s’agit de son pays d’origine Séra a, avec ces deux albums, la volonté d’amener un certain public à se pencher sur ce drame, la préface de Bernard Kouchner témoigne de cette envie. Si ce type d’initiative est louable dans l’absolu, il n’est pas évident que le résultat sur le lecteur soit celui escompté dans le cas présent, l’esthétisme étouffant le fond.
L’auteur a effectué dans le domaine graphique un travail méticuleux pour aboutir à un résultat d’une sombre beauté, jouant avec les procédés et superposant les couches pour obtenir des cases à l’aspect diaphane avant de revenir à des techniques plus classiques, pour évoquer en fin d’album le Cambodge contemporain. Cette propension à donner une dimension raffinée à l’horreur, comme il l’a déjà fait dans le malsain Secteur 7 où encore dans Les processionnaires, ne sert pas l’objectif. Le fond du sujet n'est pas le même et il n’est pas évident que ce soit là la meilleure façon de faire passer ses idées. En effet forçant ainsi sur la conception de l’objet, Séra pose un décalage avec le ton du récit et ne facilite pas la compréhension de l’ensemble. Ce n’est pas l’emploi du texte qui sert de manière alternée la trame, des données et des extraits de propagande qui viendra fluidifier le tout, la corrélation avec le contenu ne tombant pas nécessairement sous le sens.
Ce deuxième tome présente donc la même caractéristique paradoxale que son prédécesseur : le thème est d'un intérêt certain, mais demeure bridé par la forme. C'est dommage, d'autant plus que la conclusion donne de l'ampleur au récit.
Chronique de : L’eau et la terre
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