I
l n’en croit pas ses yeux. Lorsqu’il se réveille en sursaut, le train dans lequel il se trouve est arrêté en gare d’Uroshima. La jeune fille qu’il vient de voir en délicate position dans un rêve érotique est devant lui et s’apprête à descendre du wagon. Elle a oublié son portable sur un siège. Il doit la rattraper. Dans cette ville où "les habitants baisent comme chiens et chats, jeunes et vieux, tout le temps, partout... pas plus compliqué qu'un bonjour".
Voyage à Uroshima est un curieux récit. Son personnage central n’a pas de nom, c’est un homme d’âge mûr tout à fait quelconque. L’auteur le plonge dans un univers tout à fait hors du commun. De toute évidence, il fantasme sur les lycéennes en uniformes. Il va alors se retrouver au milieu d’une ville dont les habitants laissent parler leurs pulsions en pleine rue, où ils s’imbriquent sans la moindre retenue au su et vu des passants, connus ou non. Pourvu que l’envie soit là, que le/la partenaire de son choix n’ait pas été trop sollicité(e) récemment, on s’en donne à cœur joie. L’occasion rêvée pour réaliser un fantasme ? Apparemment oui, mais comme dans un rêve qui se dissipe lorsque l’objectif paraît à portée de main, les choses ne sont jamais ce qu’elles devraient être, ou telles qu’il souhaiterait qu’elles soient.
La morale avec un petit M se dessine au fil des pages tandis que l’autre est finalement tout juste chahutée. L’auteur a composé une variation onirique autour d’un conte très populaire au Japon, sans tomber dans le graveleux ou la vulgarité. Il montre bien plus qu’il ne suggère mais en condamnant son personnage à voir la réalité se tordre ou s’évanouir, il coupe les ailes de l’esprit du lecteur enclin à succomber sous la répétition des visions érotomanes de cet homme ordinaire. Voyeur soit, mais les pieds plantés dans le sol.
Vaut-il mieux se perdre dans ses rêves plutôt que de les avoir tous perdus ? Doit-on se satisfaire du tangible et de l’accessible ? A toujours courir une chimère après l’autre, ne néglige-t-on pas l’essentiel, les proches, ceux qui nous façonnent, ceux qui comptent sur nous ? Voyage à Uroshima fait partie de ces œuvres inclassables offertes assez régulièrement par certains mangakas, celles dont on doute jusqu’au bout (et même après) d’en avoir réellement perçu l’essence. Yôji Fukuyama (Bienvenue au Gamurakan – Casterman) se pose en expert en la matière. L’éclairante postface soit alors louée…
>>> Chronique de Bienvenue au Gamurakan t1
"Voyage à Uroshima" peut être analysé comme une espèce de mauvais clin d’œil à Hiroshima tant les noms se ressemblent. Je trouve que ce n'est pas forcément ce genre d'hommage auquel des victimes de la bombe nucléaire pouvaient s'attendre...
On sera prévenu que nous sommes le bienvenu dans un pays où tout le monde baise comme chien et chat avec tout le monde sans aucune gêne dans la rue et partout. Je me suis demandé dans quel délire totalement utopique et érotique je m'étais embarqué. C'est franchement pathétique par moment et même du plus mauvais goût. Bref, il faut aimer !
La bizarrerie confère en effet au lecteur un certain malaise dont il sera difficile de sortir. Il faut y voir un fantasme géant à l'échelle de toute une ville. Du coup, ce petit vieux totalement frustré sexuellement dans la vraie vie se voit changer en une espèce de Don Juan dans ce monde imaginaire. Il est clair qu'entre l'impuissance et la castration, on n'aura guère le choix que l'illusion d'un fantasme inassouvi. Comme dit, Uroshima mon amour !