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alade, Erminio Peroni quitte le village de Sicile où il a enseigné toute sa vie. Ses souvenirs refont surface, ils ravivent les émotions enfouies et les éternels regrets. C’est toute une vie qui défile, depuis l’arrivée difficile du jeune instituteur milanais dans un village enfermé dans ses traditions, en passant par les rivalités avec le maire tyrannique et le curé obscurantiste, les amours défendues avec la jeune institutrice mariée, l’adoption progressive par le village et les relations complices avec les enfants.
Le mois de janvier est décidément riche en albums de qualité, mais il va falloir faire encore une place dans la bibliothèque pour ce livre magnifique : Amandine Laprun et Joseph Béhé (Le Décalogue, Chimères, Le légataire) ont écrit une histoire atypique, triste et émouvante, que Surcouf a su mettre en images de façon particulièrement appropriée. Déroutant a priori, ce choix du noir et blanc s’avère finalement idéal, l’utilisation des nuances de gris et des hachures donnant une coloration presque cinématographique aux planches. On se retrouve plongé dans le cinéma italien des années 50-60, ce qui est peut être l’image la plus juste qu’on ait de l’Italie de cette époque. L'héritage n’est d’ailleurs pas que visuel, tant l’ambiance, la mélancolie, la nostalgie douce-amère qui se dégagent, évoquent également des réalisations de Visconti et consorts.
Les thèmes abordés sont universels et propices à susciter toutes sortes d’émotions : l’amour, le racisme, l’intolérance, l’abus de pouvoir… mais au delà des situations, il y a surtout les personnages, particulièrement réussis. Tous sont justes, tant dans leurs actes que dans leurs faiblesses. On retiendra essentiellement Erminio, tourmenté entre ses principes et ses aspirations, sa faiblesse et son attachement, et Don Battista, le maire cynique, manipulateur, qu’on accable de tous les maux au départ mais qui s’avère bien plus complexe au fil de l’album. Ce qui réunit tous ces protagonistes dans cette histoire semble être le manque de courage : Luigi, qui ne parvient pas à exprimer son ressentiment à Erminio, Giuseppe, le mari trompé qui ferme les yeux obstinément, Battista qui ne peut avouer ses erreurs, Anita qui n’ose pas s’enfuir avec son amant, Erminio qui ne se résoud pas à tout abandonner, même quand plus rien ne le retient. Tous s’enferment dans une omerta qui les rend prisonniers, et dont ils ont pourtant conscience. Est-ce un hasard si Erminio enseigne la fable du "Loup et du chien" à ses élèves ? Au final, il ne leur reste que la nostalgie des chances qu’ils n’ont pas su saisir, superbement exprimée tout au long de cette histoire.
Une œuvre sensible et simple, touchante, rare en bande dessinée.
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Il est vrai que ce récit n'est guère très palpitant. On aura compris qu'en Italie, il y a une grosse différence entre les siciliens et les milanais. L'histoire est bâtie sur cet antagonisme. Il semble difficile de s'intégrer dans une communauté villageoise sicilienne où le maire règne en maître absolu. Maintenant, cette idée pourrait s'appliquer dans le monde entier. Tout récemment, un film montrait les différences entre les habitants de New-York et ceux de Los Angelès.
J'ai regretté la multiplication des flash-back et des personnages ainsi que le flot d'informations parfois inutiles. Je n'arrive pas à comprendre les motivations des personnages ainsi que le lien particulier qui existe entre Erminio, Luigi et Salvatore. Il n'y aura pas de révélation finale qui pourrait me permettre de mieux cerner les enjeux de ce récit. C'est bien dommage.
Cette fable moralisatrice se laisse tout de même bien lire. On saura que la jalousie est un vilain défaut et qu'il faut plus de tolérance dans le monde...