Le prolongement

F rance, dans un futur proche. Gloria et Camille sont mariés depuis des décennies, leurs enfants sont grands et, globalement, ils filent le parfait amour. D’accord sur presque tout, il n’y a qu’un seul sujet sur lequel ils ne s’accordent pas : la façon de vieillir. Gloria s’y refuse et a choisi de stopper le processus en entreprenant tous les cinq ans un «Prolongement», un traitement révolutionnaire, exclusif et hors de prix. De son côté, Camille préfère ne pas entraver le cours de la nature et accepte sa destinée, un jour à la fois. L’échéance approchant, un petit problème d’argent vient gâcher cette quasi-harmonie. Il faut que le couple vende rapidement une de ses propriétés pour payer les soins. De l’orage à l’horizon ?

Illustrateur œuvrant principalement dans les livres jeunesse, Gwendal Le Bec change de registre et propose un très ambitieux récit d’anticipation avec Le Prolongement. Cette variation sur le transhumanisme sert surtout de prétexte à une véritable comédie dramatique à la distribution généreuse et aux ramifications multiples. Quelques scènes très explicites rappellent également que la sexualité est un élément crucial dans les relations de couple.

Moments graves et plus légers, querelles et rabibochages, invitations et retrouvailles, le scénario se dévore avec plaisir et se révèle truffé de surprises et de petits rebondissements souvent très touchants (le cousin Jérémy et son mari, l’ambiguë Myriam, sans oublier le chien et le lapin). Cependant, sur la longueur, les actions sont si diverses et nombreuses qu’elles finissent par occulter le fil principal. Même si l’auteur arrive à s’en sortir avec une énième ficelle (un peu facile celle-là), une impression de flottement domine de temps à autre la lecture. Rien de totalement pénalisant, car l’ensemble est rythmé et très original. Simplement, le lecteur se demande parfois de quoi parle vraiment l’album.

Une des raisons possibles de ce flou thématique vient peut-être de la mise en image et en couleurs un peu molle. Style graphique très léger, quasiment minimaliste, colorisation se limitant à deux teintes pastelles, le trait de Le Bec s’avère trop limité pour retranscrire toutes les émotions et les tensions qui traversent les protagonistes. Pour résumer, les planches font plus penser à un rough ou un synopsis de travail qu’à un livre abouti. À chacun de se faire son idée.

Fable futuriste façon Ugo Bienvenu, un peu plombée par des choix esthétiques discutables et un éparpillement narratif, Le Prolongement parvient néanmoins à captiver grâce à la richesse de son propos et à la truculence profondément humaine de ses personnages. Gwendal Le Bec, un auteur à découvrir et à suivre.