L
ausanne, dernier quart du XXe siècle. Depuis tout petit, Paulin aime les bus, les trolleybus en particulier et exclusivement. Cette passion ne s’explique pas et est allée grandissante au fil du temps. N’ayant pas pu passer son permis de conduire et intégrer les transports publics, il a, à la place, imaginé un moyen de concrétiser son rêve. Il a bricolé une cabine à roulettes à partir d’un chariot de supermarché, ajouté les indispensables perches pour l’électricité et placé des autocollants, l’illusion est parfaite. Tous les jours, il prend son service et parcourt la ville, s’arrêtant à chaque arrêt, selon un horaire qu’il respecte scrupuleusement. Gêne-t-il la paix publique ? Non, car il fait très attention et reste sur le trottoir. Seulement, comme le dit le poète, «les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux…» et un fâcheux a dénoncé cette innocente manie aux autorités. Interné et mis sous tutelle, Paulin est privé de son passe-temps favori. Est-ce que les usagers de ce réseau parallèle vont rester sans rien dire ?
Basée sur une histoire vraie, Voie de garage est une fable contemporaine pleine de tendresse et de poésie. Qui dit fable, sous-entend sous-texte et morale. Ceux-ci son bien présents, sans être appuyés ou assénés, heureusement. Paulin est différent de la majorité, c’est entendu. Autiste, peut-être, mais il ne souffre certainement pas d’oligophrénie. Il est articulé et comprend parfaitement que ses agissements ne sont pas dans la norme. Simplement, comme il le déclare à plusieurs reprises, «faire le trolley» est ce qui le rend heureux. Alors, pourquoi le lui interdire ? Question centrale de l’ouvrage, celle-ci est posée ouvertement, calmement et frontalement. Ses grands-parents chez qui il habite sont contents de le voir sourire, les enfants se moquent un peu de lui, tout en adorant participer à ce jeu de «faire semblant» et, plus largement, les gens du quartier voient en Paulin une sorte de mascotte sympathique. Ne serait-il pas un maillon de lien social tout bonnement ? Dans le canton de Vaud, ça ne suffit pas et ce héros discordant est trop visible pour certains. Il va donc être retiré de la rue et goûter du système psychiatrique. En plus des lois et des règlements, il y a un usage général à suivre, sinon, ça serait vite le désordre, comprenez-vous.
Sophie Adriansen développe ce modeste argument sur plus de cent pages qu’Arnaud Nebbache illustre en couleurs directes. Peut-être un poil long, l’album se déguste néanmoins avec énormément de plaisir. Découpage et mise en scène qui vont à l’essentiel, dessins sans détourage infiniment doux et bonne distance entre réalisme et rêverie, l'ouvrage est doté d’une identité forte et baigne dans une atmosphère pleine de ressenti et d’amour. Pas de cri, de rebondissements improbables ou de récriminations insensées, juste une chronique du quotidien illuminée par un ravi à la bonté sans limite.
Lecture feel good mélancolique et quand même optimiste, Voie de garage balaye un nombre de problématiques impressionnants. Outre le handicap et sa perception, le rôle de l’art, inadéquation des structures sociales et hospitalières, la place de l’autre, etc. sont adressés au passage d’un Magic Bus d’un genre inédit et infiniment accueillant. Une très belle surprise à découvrir.
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