Ukraine Ukraine. Petite histoire d'une longue guerre avec la Russie du moyen-âge à nos jours

U kraine. En pleine nuit, les bombardements de l'armée russe se font de plus en plus violents. Après avoir tenté de se rendormir dans son appartement, Vika préfère trouver refuge dans l'un des nombreux abris mis à la disposition des civils. Là, une vingtaine de personnes sont déjà présentes. Elles patientent comme elles le peuvent. Les enfants jouent ou posent des questions. Des adultes se murent dans le mutisme alors que d'autres cherchent à discuter afin de faire passer le temps et l'angoisse. Lors de ces discussions, certains abordent le passé de leur pays, levant le voile sur la volonté pluriséculaire de l’État russe d'annexer l'Ukraine, voire de la détruire.

De nombreux titres ont déjà prouvé que le neuvième art était un média pertinent afin de livrer des explications géopolitiques ou historiques. Ukraine, petite histoire d'une longue guerre avec la Russie est de ceux-ci. C'est l'essayiste et intellectuelle Mariam Naeim qui s'occupe du scénario. Spécialisée dans l'étude et la présentation de l'Ukraine sous l'angle post-colonial, elle est devenue une personnalité suivie sur les réseaux sociaux, où elle est très active, ce qui lui a aussi permis de se faire remarquer par des médias plus classiques, tels le New York Times ,et des universités à l'instar d'Harvard où elle fût invitée.

Rompue à l'exercice de la vulgarisation qualitative, l'autrice opte pour une narration non chronologique, évitant au passage le piège du documentaire se servant de l'image. Partant d'une scène de bombardement, les lecteurs accompagnent une jeune femme à laquelle il est aisé de s’identifier. Au passage, Mariam Naeim livre des informations sur le nouveau quotidien des Ukrainiens sous forme de guide de survie à l'usage de la population. À travers les propos de certains personnages, l'autrice remonte le temps pour donner des clefs d'explication sur le conflit en cours dans la démarche dite de la géohistoire (ou des échelles de temps pour les lecteurs connaissant les travaux de Fernand Braudel). Ainsi, les bédéphiles sont renseignés sur ce qu'est un génocide en prenant appui sur la politique économique mise en place par l'URSS dès 1928 dans ses territoires qui conduisit à l'Holodomor entre 1932 et 1933. Au passage, l'autrice dévoile que Raphaël Lemkin, le juriste qui forgea le concept, considérait l'Holodomor comme une partie du génocide ukrainien.

Les explications sont précises et claires. Au fur et à mesure de la nuit passée par Vika, les lecteurs en apprennent davantage sur l'histoire de l'Ukraine, que cela soit sur le rôle de Volodymyr le Grand dans le Rus' de Kyiv, les Cosaques ou sur les évènements ayant eu lieu à partir des années 2000, le tout en passant par le linguicide décidé par le tsar Pierre 1er à partir de 1720. L'ensemble de ces évènements sont mis en relation afin de démontrer les racines des logiques destructrices de la Russie à l'égard de l'Ukraine, tout en soulignant, en restant neutre, la pluralité des acteurs locaux et internationaux.

Yulia Vus et Ivan Kypibida assurent l'aspect graphique de l'album. La première est déjà connue du public anglo-saxon puisqu'elle a collaboré à plusieurs reprises à des journaux tels que The Economist ou The Washington Post. Habituée à raconter l'actualité, elle est secondée par Ivan, qui vit encore en Ukraine, et qui est considéré comme un auteur alliant le style traditionnel de son pays à une touche de contemporanéité. Tous deux parviennent à un visuel assez original mêlant l'illustration et la bande dessinée. Certaines cases se suffisent à elles-même, sans construction de planches, même les bulles paraissent superflues. Les passages montrant Vika sont les plus proches du classique en BD, soulignant, au passage, l'importance des réseaux sociaux dans le quotidien des Ukrainiens. Les planches comportant les explications historiques sont traitées d'une manière plus originale, s'affranchissant du gaufrier et utilisant des images connues parce que publiées dans les médias et le style iconographique présent dans les affiches soviétiques ou bien les icônes religieuses. Les personnages historiques et politiques sont tous ressemblants. Enfin, l’utilisation massive du orange et de variations du noir confère une touche singulière à l'ensemble de l’album, allégorisant le patriotisme de la population de ce pays agressé, sur un ton de métaphore de l'incertitude de son avenir.

Ukraine, petite histoire d'une longue guerre avec la Russie du Moyen-Âge à nos jours parvient à recontextualiser la dernière phase de la guerre ayant débuté en 2022 , dans le temps long, offrant au passage une analyse historique des faits rigoureuse. Un album passionnant, didactique et d'utilité publique.

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