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vant que l’aube ne pointe, une femme évanescente contemple la baie d’Alexandrie. Du monde qu’elle connaissait, il ne reste que de rares vestiges. Les siècles ont filé, mais son nom, lui, demeure célèbre. Elle s’appelle Cléopâtre. Hier encore ou presque, elle régnait sur l’Égypte. Avant cela, elle faisait déjà la fierté de son père Ptolémée, par son esprit et son savoir. Son confident d’alors était la momie d’un grand pharaon et ses suivantes, Charmion et Iras, l’accompagnaient fidèlement partout. Ils la connaissaient par cœur, dans la joie et la tristesse, face à la trahison et à la mort. Remontant le fil du temps, la reine égrène ses souvenirs : ses frères-époux indésirables, sa sœur comploteuse, César et Marc Antoine ses amants romains, ses enfants-dieux et toujours le souci de son royaume.
Figure égyptienne antique probablement la plus connue, au point qu’il est aisé d’en oublier son ascendance grecque, Cléopâtre VII Philopator (née vers -69 – suicidée en -30) n’a pas manqué d’inspirer tous les arts et, parmi les plus récents, le cinéma, la télévision et la bande dessinée. Dans ce dernier média, elle est à la fois la souveraine tempétueuse du sixième album d’Astérix et la fatale Reine de sang décrite par le couple Gloris et Joël Mouclier (Delcourt, 2017). En égyptophile avertie, Isabelle Dethan (Sur les terres d’Horus, Le tombeau d’Alexandre, Le roi de paille) s’attache, à son tour, à retracer le parcours de cette icône.
Paru chez Dargaud, Moi, Cléopâtre, dernière reine d’Égypte prend la forme d’un récit à la première personne, le fantôme de la protagoniste se racontant au gré des réminiscences qu’elle partage avec son singe apprivoisé. Les lecteurs découvrent ainsi la souveraine dans son intimité, à travers ce qu’elle vit aux côtés de ses servantes et les pensées qu’elle confie à un corps momifié. Son humanité, dépouillée des artifices d’une royauté qui se veut divine, et ses émotions transparaissent, la rendant proche, presque amicale. L’héroïne se révèle aussi cultivée qu’enjouée et incarne pleinement ses rôles multiples et successifs : fille préférée du père, héritière présomptive, épouse forcée, mère comblée, monarque impliquée et n’hésitant pas à se mêler au peuple, savante versée dans les expériences. En parallèle, les hommes de sa vie se montrent également sous un jour très humain, notamment Marc Antoine. Par petites touches, l’autrice souligne également le rapport de force géopolitique à l’œuvre durant cette période, ainsi que les différences culturelles entre les sphères latines et égyptiennes. Elle épingle, par exemple, la chape patriarcale incarnée par la vision que les généraux romains ont du rôle des femmes, laquelle va à rebours de ce qu'incarne Cléopâtre.
Ressuscitée l’espace d’un album, la Cléopâtre d’Isabelle Dethan dévoile sans faux-semblant une personnalité fascinante. Une bande dessinée à lire.
Je pensais bien connaître l'histoire de Cléopâtre… ou du moins, je le croyais. Isabelle Dethan nous en apprend beaucoup sur la vie de la dernière reine d'Égypte sous un jour peu commun. Bien que l'on connaisse déjà la fin de l'histoire, Dethan parvient à insuffler un rythme qui rend le récit captivant. À chaque page et chapitre, on a envie de connaître la suite.
Du côté du dessin et des couleurs, Isabelle Dethan démontre une fois encore sa grande force pour recréer l'atmosphère de l'époque. Pour moi, personne n'a réussi à dessiner aussi bien l'Égypte ancienne (et moins ancienne ici)... Que dire de plus ?
Excellent!