L
e 16 avril 1917, lors de l'offensive du Chemin des Dames, Jean assiste à la boucherie depuis son poste de pilote de char. Plusieurs mois après, il perd sa compagne atteinte d'une maladie respiratoire. Alors, seule la guerre lui importe dorénavant. Incorporé dans l'escadron de son ami d'enfance Abel, il y découvre un nouveau char, pour lequel il a participé à la création aux côtés de Louis Renault et de ses ingénieurs. C'est aux commande de cet engin qu'il fuit sa peine, fonçant dans l'enfer des combats. Ce qui n'est pas sans inquiéter ses amis et son mécanicien Martial.
Vincent Brugeas propose une histoire dépassant le cadre fixé par la collection, afin de développer une histoire de deuil sur fond de conflit. En effet, son personnage principal perd le goût à la vie après le décès de Marie. Continuer les combats devient sa seule raison d'être, il n'a plus que ça. Son entourage tente bien d'essayer de le sortir de cette torpeur, rien n'y fait, jusqu'à la toute fin de l'album qui lui offre une surprise. Le scénariste a conçu ses personnages loin des archétypes. Au contraire, ils sont tous plausibles et lui permettent de traiter plusieurs points de la Grande Guerre.
En premier lieu, le rôle des femmes. La correspondance occupe une place importante, entre Jean, Marie, Abel et Francine. Cette dernière, en décrivant son quotidien, permet de faire connaître aux lecteurs la journée d'une femme dans les usines Renault à Boulogne-Billancourt. L'accident du 13 juin 1917, où le toit d'un bâtiment s'effondre causant vingt-six morts, est mentionné, donnant davantage de crédibilité au personnage. L'obusière n'étant pas dans ce bâtiment, le drame est donc uniquement évoqué.
Deuxièmement, l'importance des divisions de chars est bien décrite. Relançant la dernière phase de mouvement de ce conflit, l'auteur a su retranscrire sans romancer à outrance les moments de batailles et leurs déroulements. Dernier point fort, en lien avec le précédent, Vincent Brugeas se montre sans concessions avec la brutalisation de cette guerre et ses conséquences. Pour ce faire, il donne de l'importance à Martial. Ce jeune homme passionné de mécanique bascule dans l'horreur. Il cherche à comprendre l'innommable, se réfugie un temps dans la prière avant de s'abandonner dans l'alcool. Là encore, le personnage est criant de vérité. Il convient d'ajouter que l'histoire de cet opus se termine en 1919. Pour le grand public, la datation de ce conflit va de 1914 à 1918. Ce bornage scolarisé est discuté par de nombreux historiens depuis des années, en raison de la notion de centrisme. L'Europe centrale et la Balkans connaissent des combats après 1918. C'est dans ce cadre que Jean est affecté dans une ville entre la Pologne et la Lettonie.
Les dessins de Marco Bianchini sont très réalistes. Les décors sont soignés et bénéficient de nombreux détails, que la colorisation de Maxflan rehausse. Qu'ils soient urbains, ruraux ou champs de batailles, chaque lieu est minutieusement présenté aux bédéphiles. Les scènes de combats sont d'un réalisme saisissant, selon un agencement qui sort du tout-venant. Usant de strips, le dessinateur insère, en complément, des informations visuelles sur le combat. Ailleurs, Bianchini sur deux planches montre comment Jean a travaillé sur les plan du Renault FT, épaulé par Marie : au centre, le char ; les vignettes se lisent dans le sens des aiguilles d'une montre.
L'album se termine avec un cahier documentaire de quatre page signé Stéphane Dubreuil. Après une présentation de la bataille de la Marne, le rôle du char est expliqué et commenté.
Ce quatrième tome de la série Les grandes batailles de chars maintient la dynamique et l'intérêt de la collection. Les férus de mécaniques de guerre et ceux de la Première Guerre mondiale sont comblés.
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