À la suite d’une tempête, trois adolescents échouent sur une île. Comme tous les naufragés, ils comptent les jours, apprennent à allumer un feu, se mettent en quête de nourriture et scrutent l’horizon à la recherche d’un navire. Mais personne ne vient. Le lieu se révèle singulier alors qu’interviennent de gigantesques et énigmatiques créatures marines. Les héros ne sont pas en reste ; l’un voit des branchies apparaître sur son torse et l’autre peut se transformer en cormoran.
Emma Ríos, une habituée du « comic », a notamment dessiné de nombreux épisodes de Spiderman, à savoir un type qui a acquis les pouvoir d’une araignée. Là s’arrêtent toutefois les ressemblances. Il serait aussi vain de regarder du côté de L’Île mystérieuse, où Jules Verne présente des rescapés cherchant à asservir la nature pour recréer leur monde. L’autrice de Pretty Deadly met plutôt en scène un univers où les survivants poursuivent une quête d’osmose avec leur environnement.
L’Espagnole signe un premier scénario ambitieux, où l’aventure est teintée d’onirisme, de surréalisme et, surtout, d’ésotérisme. Le tout a l’allure d’une fable sur l’écologie et le respect de la vie sous toutes ses formes. La scénariste s’applique à gommer les distinctions entre l’homme et la bête, l’animal et le végétal, le mort et le vivant. Favorisant la tolérance et la collaboration, son propos ressemble à un plaidoyer dénonçant l’être humain et son empreinte sur les écosystèmes… à moins que ce soit autre chose.
Pour tout dire, l’histoire ne se laisse pas apprivoiser facilement. Les ruptures se multiplient, le narrateur change fréquemment et certaines ellipses déroutent le bédéphile. Au final, à défaut de tout comprendre, la meilleure attitude consiste à s’abandonner au texte et aux images, en acceptant que des zones d’ombre demeurent. À l’instar des protagonistes, le lecteur doit donc embrasser l’univers tel quel et ne pas tenter de le domestiquer.
Pour illustrer un récit marin, quoi de mieux que l’aquarelle ? Parfois réaliste, parfois à la limite de l’abstraction, le travail d'Emma Ríos éblouit toujours. Elle maîtrise du reste à la perfection les jeux d’ombres et de lumières, notamment ceux des vagues. Un seul bémol : ses personnages ne sont pas toujours aisément reconnaissables.
Les dessins reposent essentiellement sur le rose, une teinte qui n’est pas celle de la végétation, du ciel ou de la mer ; en fait, elle n’est celle de rien. Un choix judicieux pour un ouvrage cherchant justement à brouiller les frontières.
Un album exigeant, à découvrir d’une traite pour éviter de s’empêtrer dans le fil narratif, même s’il faut quelques heures pour lire les trois cents pages.
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