E
n cette fin du XIXéme siècle, la ville d'Edo connaît l'essor spectaculaire de la restauration rapide. Né une cinquantaine d'années auparavant, un met symbolise cette mode : le sushi nigiri. À la fois populaire et recherché par les fins gourmets, ce plat occasionne une lutte féroce entre restaurants dans le quartier de Sushiya Yokocho. Néanmoins, un chef se distingue. La rumeur prétend que sa cuisine flatte les palais et remplit les estomacs tout en soulageant les maux et en guérissant les cœurs.
Etsushi Ogawa est un auteur qui a fait ses armes au Japon dans le registre du Gourmet manga. Ici, Le mangaka ose un recette audacieuse, à l'instar de son personnage principal dans le premier chapitre. Le Jidai manga et le Gourmet manga sont connus et pourquoi ne pas écrire prisés d'un grand nombre de bédéphiles. De plus en plus de titres de l'un ou de l'autre genre sont proposés au lectorat francophone, mais rares sont ceux qui mélange les deux. Sushi Ichi en fait partie et comme le dit François-Régis Gaudry "On va déguster".
La trame scénaristique de base est simple et efficace : une personne cache ses problèmes ou dissimule sa peine, s'ensuit la rencontre avec le cuisinier qui trouve la recette idéale pour lui venir en aide. Ce fil narratif n'est pas sans rappeler La cantine de minuit de Yaro Abe. Toutefois, c'est là la seule ressemblance. En effet, sur ces cinq premiers chapitres, Ogawa densifie progressivement ses personnages. Tout d'abord celui de Taisuke, maître qui manie l'art du sushi comme personne et l'utilise à des fins quasi thérapeutiques. Le scénariste dévoile quelques bribes d'informations sur son passé, laissant comprendre qu'il a une origine sociale élevée et que les bouleversements sociaux de l'ère de Meiji l'ont amené à la cuisine. Doté d'une bonne humeur et d'une rapidité hors norme, il aime aussi enseigner son art culinaire ; d'où son sidekick Hamakichi. Là encore, Ogawa est assez astucieux pour éviter le piège des protagonistes convenus. Hamakichi n'est pas cantonné au simple rôle de faire-valoir ou de subordonné. Le personnage gagne en épaisseur dès le deuxième chapitre, devenant tout aussi important qu'Orin, la patronne du restaurant où officie Taisuke. La galerie des personnages secondaires bénéficie de cette logique, ce qui contribue à rendre les différentes histoires intéressantes. De plus, l'auteur maitrise le cadre temporel de son récit, en faisant attention aux ingrédients et aux types de plats proposés.
Ce souci se voit également dans l'aspect graphique du manga. Les décors urbains sont travaillés et soignés. Il en est de même pour les vêtements et les accessoires présents tout au long du tome. Et ceci est encore plus vrai pour les cases montrant le chef en action et celles mettant en avant les sushis. Il est difficile de ne pas avoir faim devant ! Le dessin est précis et d'une rare finesse sur les plats. Le réalisme est saisissant. Le mangaka est rusé pour se démarquer dans cette série. En effet, les moments où les personnages goutent les sushis de Taisuke prennent une autre tournure visuelle, afin d'illustrer la béatitude, pour ne pas dire l'orgasme gustatif ressenti. Pour ce faire, le dessinateur opte pour un dessin sur une quasi double planche. Le visage et le corps parfois déformés montrent la puissance de l'émotion ressentie. L'ingrédient principal du plat est aussi hautement présent dans ce dessin. C'est le cas, par exemple, du thon dans le Zukemaguro. Quand mademoiselle Oyuki le mange, elle se voit nue, chevauchant un énorme poisson. Par son trait maitrisé et ses trouvailles esthétiques, Etsushi Ogawa se classe bien au-dessus de ce que les bédéphiles ont pu lire dans le genre.
À la fin du tome, Christian Marmonnier propose un documentaire de seize pages consacré à l'histoire du sushi. Ce dossier est passionnant. Tout en couleur et richement illustré, il permet aux plus curieux des lecteurs d'en savoir nettement plus sur le plat mais aussi sur la période servant de cadre au manga.
Etsushi Ogawa a concocté une série tout aussi divertissante qu’alléchante. À la croisé du manga historique et gastronomique, Sushi Ichi se savoure sans modération !
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