C
ent ans après, peu se souviennent de la grève des Penn Sardin à la fin de l’année 1924. Il est donc peut-être pertinent de se rappeler que les acquis sociaux d’aujourd’hui n’ont pas toujours été une évidence.
« On voulait montrer les femmes dans leur rôle social. Comme les hommes étaient en mer, une plus grande liberté leur était accordée. À l’époque, les femmes n’avaient pas le droit de vote, mais elles pouvaient être inscrites sur des listes électorales… Cette grève pose les premiers jalons du féminisme. C’est aussi ça qu’on voulait montrer. » Voilà ce qu’affirment Léah Touitou (scénario) et Max Lewko (dessin) à propos de leur œuvre. Cependant, Le Chœur des sardinières est avant tout un documentaire sur l'une des premières grandes manifestations sociales menées par des femmes. Chercher à en faire un emblème du féminisme ou du « made in Breizh » en matière de matriarcat n’est-il pas un peu précipité ? En effet, à y regarder de plus près, l’indépendance (relative) des Bretonnes, souvent limitée au cadre familial, n’a guère de rapport avec un matriarcat pur et dur ! Ce serait comme affirmer que la société française était devenue matriarcale durant la Première Guerre mondiale sous prétexte que les femmes faisaient tourner les usines et labouraient les champs! Dans un registre similaire, si les ouvrières de Douarnenez se sont mises en grève, n’étaient-elles pas avant tout motivées par la nécessité de sortir leur famille de la misère et d’éviter l’exploitation en usine de leurs filles dès10 ans ? Car, étonnamment, les conditions de travail de ces femmes en 1924 étaient comparables à celles décrites par Zola dans Germinal. Sur la côte de Cornouaille, leurs journées pouvaient durer jusqu’à 16 heures, afin de conditionner rapidement le poisson, pour un salaire de misère (moins d’un franc de l’heure, alors que le prix d’une boîte était de 1,30 franc). N’était-ce donc pas une question de dignité et de reconnaissance, plutôt que d’une émancipation au sens strict du terme ?
Comme souvent dans les fictions documentaires, l’important réside davantage dans le scénario que dans le graphisme, qui joue ici un rôle essentiellement illustratif. Toutefois, il ancre le récit dans une forme de matérialité qui lui confère consistance. Cependant, Le chœur des sardinières éclaire, mais n’analyse pas en profondeur. Trop descriptif, il évite l'examen des raisons profondes des événements.
Bien que son sujet ne soit pas des plus mainstream, cet album peut néanmoins permettre, pour les plus curieux, de chercher à en savoir plus sur ce mouvement aussi singulier qu’éphémère…
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