D
ans la rue, les citoyens les reconnaissent facilement. Leur uniforme bleu rassure les uns autant qu’il agace les autres. Poulet, flic, condé, keuf, shtar : les termes varient pour désigner les policiers, souvent avec insolence, méfiance, mépris ou haine ; plus rarement avec fierté ou tendresse. Toute violence ou bavure leur est vivement reprochée ; celles qu’ils subissent parfois laissent hébétés, sinon effarés. Et s’ils tardent à agir, ils sont critiqués.
Passée une accroche artificielle, sinon pesante, le récit, découpé en treize chapitres, aborde les nombreuses situations auxquelles les gardiens de la paix peuvent être confrontés. Affaire de violences conjugales – à condition qu’il y ait dépôt d'une plainte -, autopsie d’un suicidé – pour déterminer qu’il ne s’agit pas d’un homicide déguisé -, perquisition au petit matin, rodéo urbain, contrôles au faciès en rue ou d’un candidat terroriste aux portes du central, éternelle chasse aux dealers qui gangrènent les quartiers, les missions sont plurielles et, souvent, elles s’accompagnent d’une charge mentale conséquente. Ces cas montrent la misère morale et sociale, la précarité, la marginalité. Toutefois, ils témoignent aussi, et surtout, des ressentis des fonctionnaires de police. Mikael Corre leur prête en effet une oreille attentive, tout en questionnant ce qui l’interpelle dans la manière dont certaines actions sont menées.
Ceux qui se confient évoquent une fatigue psychologique, la difficulté à surmonter ce qu’ils voient et vivent journellement, l’inconfort devant des décisions venues d’en haut les plaçant en porte-à-faux. L’impression récurrente d’être démunis plane également au-dessus des interventions et revient au fil des discussions : manque de moyens, formation insuffisante pour s’occuper des profils psychiatriques, contradictions et limites du système socio-politico-judiciaire, sans oublier la crainte de déraper. Cet aspect-là n’est pas oublié ; il affleure, se dit parcimonieusement. Des flics violents, abusant de l’autorité dont ils sont investis, il y en a, de même que des ripoux ou des collègues qui puisent dans les stupéfiants saisis pour leur consommation personnelle. Ils font honte au métier, mais de là à parvenir à les déloger... Le cercle est faussé et le bras (sur-)armé se trouve régulièrement ligoté, obligé de manœuvrer dans un intervalle étroit. Du moins, c’est ce qui transparaît.
Finalement, sous la toile bleue et les insignes, entre le flingue et les colliers de serrage, des êtres humains tentent de faire honneur à leur engagement, d’agir entre empathie et respect des règles et des lois. Cela n’empêche ni le doute ni la peur. Pour les mettre en scène, Bouqé (Goodbye Ceaucescu, Symphonie carcérale) recourt à un trait relativement sobre, que renforce le choix du noir et blanc. Le graphisme s’efface derrière les échanges et les informations dispensées. Les émotions restent neutres tandis que les étonnements du journaliste sonnent, a contrario, assez naïvement. Quant aux décors, ils s’avèrent réduits et simples.
Disséquant le fonctionnement d’un centre et ajustant le regard du lecteur sur un autre angle, Anatomie d’un commissariat s’avère être une BD-reportage invitant à réfléchir différemment à la fonction du policier.
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