S
ans mise en contexte ni explication, le lecteur découvre l’horreur d’une fusillade dans les Pyrénées espagnoles en 1962. Après ces quatre planches introductives, retour deux mois plus tôt pour décrire la vie de João et sa famille qui voient la situation politique du Portugal se dégrader sous le régime de Salazar. Quand son frère se fait arrêter et qu'il perd son emploi, la solution du départ vers la France semble la bonne, d’autant que son cousin qui y vit décrit une situation enviable, du travail et une petite maison à soi. João fait donc le choix de partir pour traverser l’Espagne et les Pyrénées et arriver en France.
La postface de l’historien Victor Pereira apporte l’éclairage de la recherche historique qui complète la biographie et donne du recul sur la mémoire des évènements.
La traversée de deux pays et une montagne peut de prime abord évoquer une grande aventure héroïque, ce n’est pas vraiment ce parti-pris choisi par Adeline Casier dans Em Silêncio. Ce qui est mis en avant ici sont plutôt les sensations, le temps qui passe si lentement et la répétition des jours. Au fur et à mesure que les personnages avancent, les mêmes instants reviennent, la marche, l’attente du prochain passeur dont personne ne sait s’il va venir ni quand, la peur de la guardia civil espagnole. Et au milieu de toutes ces difficultés, les quelques moments de fraternité qui permettent de tenir. Ce choix est judicieux, le lecteur s’immerge ainsi dans la réalité tangible de la migration.
Graphiquement le noir et blanc accentue cette monotonie du voyage, certaines motifs ambivalents reviennent; tels un abri ou les arbres qui protègent et qui oppressent tout à la fois. Adeline Casier parvient à faire ressentir les enjeux liés aux lieux traversés. Le prologue où les troncs sont dessinés de manière très imagée et semblent autant de spots de miradors en est un exemple marquant. Le trait légèrement caricatural met en avant les émotions essentielles et la simplification des paysages les rend paradoxalement encore plus présents.
Em silêncio réussit le tour de force de décrire la monotonie tout en captivant le lecteur par un récit haletant. Ce livre rappelle que la migration est intemporelle, les réalités socio-économiques changent, mais les hommes et les femmes continueront à traverser une montagne, une mer ou un désert pour chercher un ailleurs plus désirable.
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