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in juin 1950, Paris. Henri de Turenne, journaliste débutant à l’AFP, est placé devant un choix par Maurice Nègre, son patron : la situation s’échauffe du côté de la Corée, il nous faut des hommes sur le terrain. Tu pars ce soir. En gros, s’il veut faire sa place dans le milieu, il est contraint d’accepter. Il s’expliquera avec sa fiancée plus tard. Vingt-quatre heures et de multiples vols plus tard, il atterrit à Tokyo, avant de se déployer vers Taejon, alors assiégée par les troupes de Kim Il-sung. Au final, il va rester trois ans au Pays du Matin calme et couvrir le premier grand affrontement de la Guerre froide. Sa mission achevée, il continuera sa carrière avec succès et participera à la création de l’information télévisée en compagnie de Pierre Lazareff.
La sous-collection Prix Albert Londres propose de revenir sur les expériences de quelques récipiendaires du célèbre prix d’excellence en journalisme. En plus de l’aventure coréenne de Henri de Turenne, quatre autres albums sont d’ores et déjà programmés : Les mémoires de la Shoah (Théa Rojzman et Tamia Baudouin), Les fantômes du fleuve (Doan Bui et Damien Roudeau), Bienvenue chez Mugabe (Sophie Bouillon et Lorena Canottiere) et L’odyssée du MC Ruby (Jean-David Morvan/Philippe Broussard et Jean-Denis Pendanx) sortiront en 2026 – 2027. En attendant, cap vers l'Extrême-Orient et le 38e parallèle.
Un peu oublié, ce terrible conflit entre le Sud et le Nord fit des millions de morts de part et d’autre de la ligne de démarcation. Il précisa dans le sang que, la Seconde Guerre mondiale à peine achevée, la confrontation entre les blocs communiste et occidental était désormais la seule qui comptait. Au milieu de ce chaos, le jeune De Turenne va véritablement apprendre son métier, témoigner inlassablement de l’horreur des champs de batailles et forger plusieurs amitiés qui dureront toute sa vie. Il perdra également de nombreux collègues. Pour pouvoir raconter objectivement, il faut se trouver au cœur de l’action et cela comporte des risques, pour une issue souvent mortelle.
Outre les ouvrages de De Turenne, Stéphane Marchetti a eu la chance de pouvoir consulter les archives familiales du journaliste. Ces différentes sources lui ont permis de tisser un récit truffé de détails et d’anecdotes personnelles d’une grande intensité et sincérité. Il y a évidemment les moments cruciaux, les victoires, les défaites et les grands noms. Ceux-ci sont indispensables et, pour rappel, ils sont la raison d’être du métier du héros. Cependant, les à-côtés, les moments de doute, les pertes tragiques, les relations avec sa famille et ses collègues, etc. ne se révèlent pas moins intéressants et touchants. Résultat, la lecture s’avère passionnante et pleine de ressenti. Celle-ci soulève aussi une foule de questions fondamentales : doit-on tout rapporter ? Quelle est la bonne distance avec son sujet ? Comment rester neutre dans ses comptes-rendus ?
Visuellement, Rafael Ortiz rend une copie convaincante et précise. Dessin réaliste maîtrisé qui laisse toute la place aux émotions et découpage efficace qui sait donner de l’espace pour de grandes illustrations, les portraits ainsi dressés, tant des combats que des hommes se montrent impeccables. À souligner également, la très bonne mise en couleurs signée par Hiroyuki Ooshima apporte profondeur et atmosphère à ces planches au rendu particulièrement léché.
Biopic documentaire (un nouveau genre ? ) impeccablement réalisé, Sur le front de Corée est à recommander à tous les amateurs d’Histoire contemporaine et d’aventure vécue. Les bédéphiles avertis pourront même s’amuser à le comparer avec les déboires que Maurice Tillieux avait imaginé pour Félix sur le même théâtre d'opérations.
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