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uébec, Cantons de l’Est, début du XXe siècle. Profitant d’une situation stratégique à cheval sur la frontière, The Palace of Sin sert autant une clientèle américaine que canadienne. Petit rappel : la prohibition est en action du côté canadien, pas encore aux USA (tout cela va s’inverser d’ici quelques années). Autre particularité à relever, les lois sur la prostitution en vigueur à l’époque étaient également différentes suivant la nation. Pourquoi se priver, puisqu’il y a une demande ? Jouant sur tous les tableaux, Lilian Miner, dite Queen Lil, a bien l’intention d’en profiter. Elle a les réseaux pour s’approvisionner, arrose les autorités et soutient même les ligues de tempérance dans le but d’avoir la paix. Celle-ci est évidemment relative, surtout quand il est question de politique et de grand banditisme. De toute façon : une femme doit faire ce qu’elle a à faire afin de se débrouiller dans ce monde d’hommes.
Fiction historique impeccablement documentée, Queen Lil et les femmes de la prohibition revient sur des péripéties ayant émaillé le temps où l’alcool était l’ennemi numéro un de la société (selon certains). Si le pan américain de cet épisode est globalement connu par le grand public, il est en fait nettement plus riche et complexe, particulièrement en y rajoutant la variable canadienne. Contrebande (via Saint-Pierre et Miquelon), lois mal ficelées, créativité incroyable pour les contourner, ce qu’il faut de corruption, etc., Laurent Busseau et Stéphane Lemardelé se concentrent sur la personnalité de Queen Lil, une ex-maquerelle au nez fin et à la poigne de fer. De 1910 à 1925, elle va diriger une maison de débauche et tenir tête aux autorités des deux pays, servant par la même occasion d'actrice-clef pour l’approvisionnement de la Nouvelle-Angleterre en cognac, whisky et autres champagnes.
Les anecdotes incroyables sont légions, les personnages plus grands que nature, sans compter le plaisir coupable de voir Guignol ridiculiser les gabelous. En plus de ce programme alléchant, les auteurs ont aussi introduit quelques réflexions féministes pertinentes. Sur le papier, un bordel ne semble pas être un endroit très progressiste. Pourtant, pour beaucoup de femmes, c’était une des seules manières de s’émanciper et de pouvoir réellement gérer son existence. Queen Lil n’était pas exactement un modèle de vertu ou une sainte, mais elle a permis à plusieurs "âmes perdues" de fuir des maris violents et, plus largement, d’échapper à la misère, tant sociale qu’économique.
Narrativement, le résultat s’avère moins enthousiasmant. Trop collé à la réalité des faits, le scénario peine à vraiment faire exister ses protagonistes. Ce souci des détails est tout à fait compréhensible, mais déséquilibre la lecture. Livre documentaire ou fiction ? L’album se retrouve constamment coincé entre deux chaises. Privé d’un véritable souffle dramatique, Queen Lil et les femmes de la prohibition perd passablement de sa superbe au fil des pages, malheureusement. Les amateurs se consoleront (ou pas) avec l’excellent dossier présenté en fin d’ouvrage.
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