A
u cœur du désert se niche une cité à nulle autre pareille : elle abrite le palais des dieux où sont honorés les défunts. Alors que le riche convoi funéraire d’un prince s’en approche, une jeune femme s’éloigne des chariots. Entre roche et sable, elle rencontre Orphée, chanteur hors pair et esprit libre. Séduit par la beauté diaphane d’Eurydice et en dépit de toute prudence, celui-ci l’accueille dans la maison qu’il partage avec sa sœur, Calliopée. Danseuse, celle-ci se consacre tout entière à son art pour le compte de la ville, mais supporte de moins en moins le carcan des faux-semblants qui lui sont imposés. Cependant, malgré l’amabilité de ses hôtes, l’étrangère dépérit inexorablement.
Mythe pluriséculaire qui a inspiré de nombreux artistes par sa dimension éminemment romantique, l’histoire d’Orphée et d’Eurydice trouve un nouveau souffle dans la déclinaison moderne qu’en offrent Lou Labie (au scénario) et Solen Guivre (pour la partie graphique). En effet, l’autrice de Racines ne se contente pas d’éclipser le héros antique du titre au bénéfice de sa partenaire, mais elle met particulièrement en lumière des thématiques résonnant aussi bien avec la légende qu’avec les problématiques sociétales actuelles. Par ailleurs, bien que certains rôles soient quelque peu modifiés, ils ne s’en inscrivent pas moins bien dans le propos et le servent avec tout autant de justesse.
D’une part, il est question à la fois d’amour à sens unique ou inaccessible, de consentement, ainsi que de dépression sévère et des conséquences d’un abus subi. D’autre part, l’importance de la liberté de choix, comme de la manière de vivre ou de partir, s’invite également au centre du récit et touche chaque personnage. Il est d’ailleurs intéressant de suivre les cheminements presque inversés du frère et de la sœur. En outre, croyances, exploitation de la crédulité et relation au divin forment un arrière-plan crucial de l’intrigue, où se glisse également un discours autour des artifices et de l’utilisation d’artéfacts.
Parfaitement maîtrisé, le récit se déroule avec fluidité, appuyé par le dessin riche et les couleurs lumineuses choisies par Solen Guivre. Cette dernière parvient avec brio à insuffler vie et épaisseur aux acteurs, tout en conférant une véritable identité au monde créé. Comme l’artiste l’explique dans le dossier final, elle a puisé son inspiration à la fois dans l’art de l’origami et dans les tenues, les bijoux et les danses traditionnelles de diverses contrées. La ville de papier nichée dans le désert, tout comme le magnifique palais des dieux captivent le regard. De même, sa représentation des Enfers, éloignée des visions habituelles, fascine par sa majesté mystérieuse et son aura presque magique.
Plongeant le lecteur au cœur d’une tragédie dont les autrices ont su magnifier la portée intemporelle et universelle, Eurydice est une réussite des plus appréciables.
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