1919, dans une forêt proche de Berlin. Otto est en compagnie de sa plus grande source d’inspiration, sa muse : Maschka. Sur un support assemblé de bric et de broc, à partir de la toile de jute d’un sac de sucre, il commence à peindre. Un premier coup de pinceau. Puis un deuxième. À chaque nouveau trait, l’œuvre prend un peu plus forme. Après plusieurs minutes, le tableau est né. Accroché à l’arrière d’un vélo pour sécher au vent, Deux filles nues entame sa longue route à travers les âges. Des années noires s’annoncent, marquées, en Allemagne, par la montée du nazisme et, bientôt, la fondation du Troisième Reich.
Toute une histoire, vue à travers une toile… qui n’est jamais montrée. Voici ce que propose Luz (Vernon Subutex, Testosterror), pour ce nouvel album qui adopte, donc, le principe de la caméra subjective (ou plutôt case subjective, ici). L’idée n’est pas inédite en bande dessinée et a déjà été utilisée, par exemple, Dans mes yeux de Bastien Vivès ou Le spectateur de Théo Grosjean. L’originalité tient toutefois au fait que la vue subjective n’est pas celle d’un personnage mais bien d’un tableau, qui survit à des générations de femmes et d’hommes, passe de mains en mains, et traverse plus d’un siècle.
Après le départ d’Otto Mueller pour Breslau, où il devient le nouveau professeur de nu de l’académie locale, l’œuvre intègre la collection particulière d’Ismar Littman, un avocat passionné par l’Expressionisme naissant. Le national-socialisme s’impose, Hitler prend le pouvoir, les déportations débutent et le juriste – de confession juive – est rapidement spolié de toutes ses acquisitions accumulées au fil des années. Le sujet de la spoliation généralisée, du vol organisé à une échelle considérable par le régime, est ainsi un élément important du récit développé par Luz. Il dépeint, dans son style graphique caractéristique et sans détour, la violence de la période et ses atrocités à tous les niveaux.
Le 7 janvier 2015, Luz est en retard pour se rendre à Charlie Hebdo. Il n’est pas présent à la conférence de rédaction lorsque le journal satirique est pris d’assaut par des djihadistes. Ce jour-là, le terrorisme s’attaque à la liberté d’expression, au droit à la moquerie et à la caricature, et à la création artistique, suscitant une mobilisation inédite dans toute la France. Cet épisode tragique n’est, probablement, pas totalement étranger à la genèse de cet album. Car l’instrumentalisation de l’Art à des fins politiques et la censure artistique sont éminemment au cœur de Deux filles nues.
Dès son accession au pouvoir, Hitler amorce l’aryanisation des musées, épaulé par Joseph Goebbels, ministre de la propagande, et Adolf Ziegler, peintre préféré du Führer. En 1937, à Munich (la « capitale du mouvement »), deux expositions antithétiques sont organisées : d’un côté, la grande exposition d'art allemand, supposée définir les contours de la culture officielle ; de l’autre, l’exposition d’art dégénéré, présentant la production de grands artistes du XXème siècle (Nolde, Picasso, Chagall…) considérée comme symbole de « décadence ». Cette dernière, riche de plus de sept cents œuvres (parmi les vingt et un mille saisies dans les musées allemands) fera ensuite le tour des plus grandes villes du pays. Censurer l’Art pour contrôler les masses, voici ce que dénonce Luz avec cette bande dessinée documentée et précise quant à l’enchaînement des évènements. Pour approfondir le sujet, les bédéphiles curieux seront toutefois tentés de compléter leur lecture par des documentaires dédiés plus exhaustifs*.
Voyage aussi passionnant qu’effroyable, Deux filles nues est aussi une utile piqûre de rappel : l’Art est libre et, face à des menaces permanentes, doit le rester.
* À cet égard, est très chaudement recommandé l’excellent podcast en quatre parties de LSD, la série documentaire diffusé pour la première fois en 2017 sur France culture.
Allemagne, 1919. Otto Muller peintre "nouvelle vague", peint le tableau "Deux filles (demi) nues". Les deux sont bien réels, le tableau est aujourd'hui exposé au musée de Cologne.
L'originalité du scénario tient ensuite dans le fait que l'histoire de l'Allemagne est ensuite vue au travers des "yeux" du tableau lui-même dans des scènes selon là où il est exposé. Le résumé parle d'un siècle d'histoire de l'Allemagne, en fait une place prépondérante (90% de l'album) est consacrée à la montée puis l'avènement du fascisme et ses conséquences notamment sur les populations juives et l'art "déviant".
Donné par certains comme THE album de l'année, j'ai moyennement apprécié.
C'est certes très bien documenté, et parfaitement dessiné mais c'est parfois long avec des répétitions de scènes qui ne me semblent pas apporter grand chose à l'histoire.
Je salue l'énorme travail de l'auteur, mais je suis resté un peu en deçà des émotions qu'il souhaite nous faire partager car cet album est trop long à lire.