D
e baisers en étreintes, Adrian van Gott traverse le temps, dérobant l’Amour qui se niche au fond de ses victimes qu’elles soient filles de joie ou femmes du monde, et pas seulement… Adrian van Gott est un vampire, un vampire des sentiments.
Avec cette adaptation du roman éponyme de l’avocat Richard Malka, publié aux éditions Grasset en 2021, Yannick Corboz décline les saveurs de l’Amour et la part d’ombre et de lumière qui s’y attache.
Pour l’occasion le dessinateur de Célestin Gobe-la-Lune signe aussi le scénario. Sur ce genre d’exercice, il convient de choisir avec soin ce qui relève du nécessaire et du superflu afin de pouvoir, se démarquer - si cela est souhaité - de l’œuvre originelle. Dans le cas présent, Yannick Corboz opte pour un large recours aux récitatifs. Sur la longueur, le procédé pourrait s’avérer fastidieux, voire pesant, mais il instaure, le format aidant, un subtil équilibre entre les mots et les images qui rappelle l’origine du récit sans pour autant cantonner cet album dans le registre de la simple illustration de roman. L’utilisation de vignettes de couleurs et autres subtilités narratives permet de se repérer dans le fil de l’histoire et en améliore la fluidité, car la pagination étant plus que conséquente, la lecture en est de long cours.
Avec un trait fin, à peine appuyé sur les contours, les planches de Yannick Corboz travaillent l’expressivité et l’essence plus que la puissance à l’instar d’une mise en pages qui joue sur les variations plutôt que sur la profusion. En cela, s’installe une forme de constance, de fil conducteur, sur lequel la colorisation aquarellée aux tonalités matinées vient, selon les séquences, donner rythme ou intensité.
Non sans parfois rappeler Dorian Gray d’Enrique Corominas ou Celestia de Manuele Fior, le Voleur d’Amour s’avère un album à la fois romanesque - il y est question d’une vie - et romantique puisqu’il y est aussi question de passion et qui dépeint superbement l’omnipotence de l’empire des sens et le basic instinct qu’est, au-delà du désir, le besoin d’amour.
Il y a des lectures qui marquent. Le Voleur d’Amour en est certainement une. Le titre intrigant, imprimé en lettres dorées sur la couverture toilée fait déjà de ce livre imposant un splendide objet qui attire le regard.
Yannick Corboz adapte un récit de Richard Malka (avocat, romancier et scénariste de bandes dessinées dont l’Ordre de Cicéron et de Section Financière) qui nous emmène dans les pas d’Adrian, un jeune vénitien du 18ème siècle, dont la vie se déroule… sur plusieurs siècles. En effet, frappé d’une malédiction due aux circonstances de sa conception, le jeune homme va se révéler, à l’occasion de son premier baiser, être un Voleur d’Amour. Il dispose d’une sorte de pouvoir vampirique, de prolonger une éternelle jeunesse et de développer des capacités physiques hors du commun, par un simple baiser. Mais, ce faisant, il détrousse sa victime de ses sentiments d’amour (on peut penser aux Détraqueurs de Harry Potter, même si la comparaison se limite à cela), ce qui n’est pas sans conséquences.
La vie d’Adrian à travers les siècles et les continents nous permet de voyager avec lui, à travers ses succès, mais aussi ses malheurs, car « vivre longtemps, c’est accumuler les tragédies ». L’expression des états d’âmes, des idées noires d’Adrian est saisissante et le lecteur se prend à se demander ce qu’il ferait d’un tel pouvoir à la fois merveilleux et horrifique. L’intrigue rappelle la grande littérature ou le grand cinéma du genre, entre Entretien avec un Vampire et Only Lovers Left Alive, teintés de Dorian Gray.
Les tableaux – car chaque case en est un – de Yannick Corboz (L’assassin qu’Elle Mérite, Les Rivières du Passé) nous permettent de suivre ce récit d’allers et retours dans le temps (du 18ème siècle à nos jours) et l’espace (Venise, Byzance, New York, Paris, les plaines du Kenya, …) de manière magistrale. La beauté du dessin, à travers le choix des couleurs et une grande finesse, crée des ambiances immersives, passant de la lumière à la fange, de l’amour sans limite aux guerres aveugles et meurtrières.
Un chef d’œuvre d’un grand artiste du Neuvième Art.
@JB_B.D