Rancho Bravo, c’est l’Ouest, le vrai. Celui des couchers de soleil dans les yeux et de la chansonnette solitaire. Ici, le vent souffle et cataclop, cataclop, les chevaux galopent à travers les grands espaces. À la ville, enfin si ces trois baraques et cette église qui penche peuvent être appelés comme ça, il y a un saloon avec des filles, du whisky et un piano désaccordé. Le shérif a une moustache et les bandits aussi (y a pas de raison). Vous auriez pu rester bien au chaud à New York ou à Chicago, mais non, vous avez préféré succomber à l’appel de l’aventure et à la soif de l’or. Tant pis pour vous, on vous avait pourtant averti. Pan, t’es mort.
Œuvre contemporaine de Blotch, Rancho Bravo marque en quelque sorte la fin de la période Fluide Glacial de Blutch. Déjà parti dans des voies un peu différentes chez d’autres éditeurs, l’auteur du Petit Christian se dégageait petit-à-petit l’humour pur au profit de récits plus graves ou intimistes comme Peplum ou, plus tard, Vitesse moderne. Sans compter que dans le cadre de ces historiettes western décalées, il n’est que dessinateur, les scénarios étant signés Jean-Louis Capron.
Cependant, sous la rigolade, la parodie et les excès, force de constater que trente ans avant Metoo et la prise de conscience globale qui l’a accompagné, Rancho Bravo mettait à l’épreuve et dénonçait à peu près tous les excès du masculinisme toxique et de sa représentation glorifiante. Pas moralisateur pour autant, cet album hilarant à bien des aspects est avant tout une superbe expression de l’esprit Fluide cher à Gotlib. Toutes les audaces sont permises, les plus énormes surtout et, si ça fait réfléchir, ne serait-ce qu’un peu, c’est encore mieux.
Plume virevoltante, tout en rythme et en mouvement, le Grand Prix d’Angoulême 2009 fait étalage de son talent et de sa maestria. Pour ce qui de montrer le Far West, il y a eu avant Jijé, Giraud et Derib. Néanmoins, encore avant et pas vraiment chez les cowboys et les Indiens, Goya et Daumier avaient aussi un peu griffonné. Blutch est là pour mettre tout le monde d’accord et, case après case, sa version du western le prouve formidablement.
Réédition bienvenue, Rancho Bravo est bien plus qu’un sympathique pastiche plein de verve. Ce petit détour dans le monde des pionniers est une lecture à la fois rafraîchissante et percutante. À découvrir ou redécouvrir promptement.
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