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Il était une fois l'Amérique 2. Le XXe siècle

31/10/2024 282 visiteurs 6.0/10 (1 note)

L es États-Unis entament le XXème siècle avec un sentiment d'innocence perdue. Et l'Histoire ne va pas tarder à basculer dans le chaos : premier conflit mondial, crise économique, prohibition... Le pays connaît une mutation profonde, et sa littérature va accompagner le mouvement. À travers le second volume de cette Histoire de la littérature américaine, Catherine Mory s'attèle à dresser le portrait de dix auteurs emblématiques.

Ce sont donc dix géants qui voient leur vie et leur œuvre décortiquées avec un mélange de respect et d'impertinence. En effet, si l'héritage artistique, à raison, est salué, l'évocation de la vie personnelle n'hésite pas à mettre en avant les fêlures d'humains profondément imparfaits, et parfois peu recommandables. Érudit par le fond, plus léger dans la forme grâce au travail de Jean-Baptiste Hostache, l'ensemble se lit avec autant de curiosité que de plaisir.

Il faut reconnaître que la liste de noms de quoi donner le vertige: Dashiel Hammett, Henry Miler, Truman Capote, William Faulkner, Tennessee Williams, John Steinbeck et quelques autres semblent composer une liste inattaquable. Bien sûr, l'absence de quelques noms peut surprendre. L'ambition affichée est de proposer un échantillon représentatif à défaut d'être exhaustif. Choisir, c'est renoncer. Mais à quoi ?

L'impression Générale est de se retrouver face à la liste des auteurs "au programme". Il en résulte un sentiment d'académisme et d'auto-validation. Un petit microcosme a mis en place un narratif qui s'entretient de manière plus ou moins inconsciente depuis des décennies. Cette liste est légitime parce qu'elle reflète tout un appareil critique et éditorial existant, qui se retrouve lui-même renforcé parce qu'il n'est pas remis en question par ce modeste essai.

Pourquoi Burroughs et Ginsberg ne sont traités que dans l'ombre de Kerouac, alors que Fitzgerald et Hemingway ont droit à un chapitre chacun ?

Pourquoi exclure JD Salinger ?

L'ironie vient du fait que les œuvres mises en avant sont en effet de très grande facture. Gatsby le Magnifique, Pour qui sonne le glas, De sang-froid ou Des souris et des hommes sont des chefs d'œuvres. Personne ne les remet en cause. Mais leur mise en avant systématique se fait au détriment de tant d'autres textes, quitte à les vouer à l'oubli. Il en découle une vision biaisée de la réalité. Il convient alors de se pencher sur les "salon des refusés".

Où sont les autrices ? Flannery O'Connor a l'honneur de conclure cette anthologie, cette dernière place pourrait suggérer que, non, ces dames n'ont pas été oubliées, finalement. Harper Lee ou Anaïs Nin sont bien mentionnées, mais toujours dans l'ombre d'un homme.

Ce recueil s'ouvre sur Dashiell Hammett, pionnier du roman noir et héraut d'une littérature plus populaire. Ce sera le seul représentant autorisé pour le "mauvais" genre. Pourtant, la conclusion de ce livre insiste sur l'hégémonie culturelle que va exercer les États-Unis sur le monde: la fameuse soft power (déjà annoncée par Upton Sinclair dans son roman Pétrole ! en 1926). Comment alors ignorer de manière si ostensible le fantastique et la science fiction, qui ont façonné de manière profonde le paysage culturel moderne ? La présence de Howard P Lovecraft ou de Ray Bradbury n'aurait pas été usurpée. En poussant le raisonnement un peu plus loin, la présence de Bob Kane & Bill Finger, de Jerry Siegel & Joe Shuster, de Will Eisner ou Charles Schulz aurait même été envisageable, mais il ne faut sans doute pas rêver.

Enfin, il convient d'aborder le point sans doute le plus épineux. La quatrième de couverture est pourtant claire. Cette période est marquée par les tensions interraciales. Comment alors justifier l'absence totale d'écrivains afro-américains ? Le racisme n'est abordé que par le biais d'auteurs blancs. N'y avait-il aucun candidat crédible ? Un premier personnage vient pourtant rapidement à l'esprit : James Baldwin, contemporain de Truman Capote. Maya Angelou ou Toni Morrisson sont sans doute apparues sur la scène trop tardivement par rapport au cahier des charges. Mais une rapide recherche révèle l'existence de Richard Wright (auteur de Native Boy, adapté par Orson Welles en 1941, puis au cinéma en 2019 par Rashid Johnson) ou Zora Neale Hurston (une des figures majeures du mouvement culturel afro-américain dit de la Renaissance de Harlem tombée dans l'oubli avant d'être redécouvert en 1975 par Alice Walker) et beaucoup d'autres.

L'argument avancé pour justifier les choix repose sur la postérité. Mais comment ignorer que cette dernière se fonde en grande partie sur une cooptation et un entre-soi d'auteurs, d'éditeurs et d'essayistes qui choisissent qui promouvoir et qui laisser de côté au fil des années. Qui décide du programme ? Qui décerne les bonnes cartes ? Le passage par Hollywood a offert une visibilité durable ainsi que des réseaux d'influence qui ont protégé de l'effacement ceux que les sympathies communistes rendaient suspects au yeux du gouvernement. Ce ne fut pas le cas de Richard Wright, qui s'exila en France. Le parcours militant de James Baldwin l'a aussi rendu peu fréquentable pour certains cercles.

Il se dégage un profond biais de validation d'un ordre établi dans ce livre. Toutes ses qualités formelles ne changent rien au fait qu'il se contente de perpétuer une prééminence artificielle, mettant systématiquement les mêmes en haut de la pile, qui ont bénéficié d'un privilège de classe et de race. Les principaux intéressés n'y peuvent rien. Le même mécanisme s'observe ailleurs. Nombreux sont ceux dans les cercles bédéphiles qui râlent de toujours voir les mêmes têtes lorsque les médias parlent de bandes dessinées, et fustigent l'ascendant injuste qui a été accordé à certains. Il est même étonnant de voir une telle frilosité dans un ouvrage parrainé par Olivier Gallmeister, dont le travail éditorial démontre une vraie connaissance du sujet.

Par T. Cauvin
Moyenne des chroniqueurs
6.0

Informations sur l'album

Il était une fois l'Amérique
2. Le XXe siècle

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