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our tous les bédéphiles, le nom de Numa Sadoul est synonyme de Monsieur Entretien. Pionnier de la critique BD, il est également un des premiers à avoir fait entrer, au début des années soixante-dix, le Neuvième Art à l’université en proposant un mémoire sur les archétypes et concordances dans la bande dessinée moderne. Dans le cadre de ce travail de thèse, il était allé toquer aux portes de différents auteurs et avait ainsi pu se construire un carnet d’adresses et tisser des liens amicaux avec de nombreux artistes. Par la suite, il a participé à une foule de fanzines, dont les célèbres Cahiers de la bande dessinée du tout jeune Jacques Glénat. Son premier coup d'éclat fut la publication, en 1975, de Tintin et moi, livre dans lequel Hergé avait accepté de passer à la question. L’ouvrage fit date et imposa Sadoul comme un interlocuteur-clef.
Après, il y eut, entre autres, Moebius, Gotlib et surtout, en 1986, Et Franquin créa la gaffe. Complicité, confiance et convivialité, la discussion entre le créateur de Gaston et son ami eut un impact immense et sert encore aujourd’hui d’étalon pour ce type d’essai. Puis, plus rien ou presque. En dépit de son succès, l’album ne fut étrangement pas réédité. Sans compter que Sadoul s’était éloigné petit à petit du microcosme BD pour l’opéra et le théâtre. Il faudra attendre 2022 afin que cette référence soit à nouveau disponible dans une nouvelle édition remaniée.
Autre spécialiste bien connue du domaine, Christelle Pissavy-Yvernault cite évidemment cet opus comme une influence et un modèle. Elle a eu l’idée d’inverser les rôles, d’aller confronter le grand inquisiteur et de l’interroger à son tour. Spécifiquement à propos de la genèse de son opus major, mais aussi sur sa trajectoire et les liens privilégiés qu’il avait tissés au fil des années avec Franquin et quelques autres auteurs majeurs. Amusé et généreux, Sadoul a accepté de jouer à l’arroseur arrosé et de prendre le rôle la victime consentante le temps d’une rencontre.
Ouvert, très libre et sans (trop) de tabou, Franquin et moi – entretiens avec Numa Sadoul est à réserver aux passionnés bien au fait de l’histoire de leur art préféré. Il s’agit d’un dialogue entre deux experts qui se concentre sur les coulisses des coulisses avec, comme fil conducteur, le grand André. Peu ou pas de révélations, des précisions sur tel ou tel évènement, quelques regrets (les rendez-vous manqués avec Hugo Pratt ou Roba) et énormément d’excellents souvenirs en compagnie d’artistes-artisans, souvent des bons vivants et heureux de se rencontrer lors de festivals ou à d’autres occasions. La lecture s’avère sympathique, à la fois précise et décontractée. Sur le fond, la situation est plus contrastée. Outre une iconographie assez terne et limitée, les échanges ne dépassent que très rarement le niveau de l’anecdote secondaire, plus touchante que réellement importante ou cruciale.
Numa Sadoul est un personnage éminemment accueillant, agréable et curieux. De plus, sa trajectoire personnelle (il a grandi en Afrique où son père était administrateur colonial) lui a permis, dès le plus jeune âge, de s’ouvrir à d’autres réalités. Ce parcours atypique lui a certainement servi par la suite, dans sa vie et ses activités professionnelles. Franquin et moi – entretiens avec Numa Sadoul fait ressortir toutes ses qualités et offre un point de vue unique du monde la bande dessinée de ces cinquante dernières années. Une curiosité que les amateurs hardcore ne devraient pas laisser passer.
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