24 janvier 1985, an I du nouveau régime. Un visage géant est tagué sur le mur d’un immeuble de Londres. Le délinquant, repéré par la milice, parvient à prendre la fuite. Toutefois, dans la précipitation, il laisse échapper un livre. L'objet étant interdit par le gouvernement, le camarade O'Brien est mandaté pour en retrouver l'auteur. La machine répressive s'élance, implacable stupide et violente. Une liste de suspects est dressée, qui tous avouent sous la torture. L'investigateur remonte la piste jusqu'à qu'il ne reste plus qu'un nom : le sien. Innocent, il se laisse prendre pour perpétuer le système. Dans la foule qui assiste à sa mise un mort, un jeune homme part hâtivement. Lloyd a peu de temps pour rejoindre ses camarades de la résistance avant le couvre-feu. Serait-il l'auteur du graffiti ?
Après avoir brillamment transposé le roman de George Orwell en 2021, l'auteur retourne dans cet univers, avec le défi fou de proposer une suite. La tâche est ardue tant le roman est puissant. Néanmoins, Xavier Coste y parvient haut la main. Imprégné de ce qui a fait la puissance intemporelle de 1984, particulièrement la force de l’appareil punitif qui assure la stabilité du régime fascisant, le scénariste montre les différents aspect d'un État totalitaire, tant dans son fonctionnement que dans son côté immuable et ubuesque. De la machine sans pilote lancée à vive allure, il faut maintenir le rythme et prévenir l'essoufflement quitte à désigner des ennemis du peuple à châtier, tout innocents qu'ils peuvent être. Pour ce faire, Xavier Coste choisit d'avoir deux protagonistes principaux et antinomiques qui vont se succéder. Le premier, O'Brien, est un rouage du régime, un spécialiste des interrogatoires contre qui le système va se retourner pour se protéger. Loin de le victimiser, l'auteur le montre perspicace face à une fin dont il n'ignore rien. Cette froide lucidité illustre l'implacable pression d'un régime politique qui force la résignation individuelle au profit du grand tout collectif. Le second, Lloyd, prend le contrepied d'O'Brien. Le camarade lambda appartient à une cellule résistante. Là encore, Coste évite le manichéisme en proposant aux lecteurs un personnage complexe, pétri de contradictions et portant de lourds secrets. C'est avec Lloyd que les bédéphiles perceront l'un des secrets de Britania à la fin de l'album. Là encore, l'appareil se met en marche pour protéger le système... De plus, l'auteur en profite afin de couper court à une glorification romanesque ou héroïsant de la résistance. Celle-ci est composée de profils hétérogènes tant par leurs origines que par leurs idéologies. Le passage sur l'application stricte des règles après avoir accueilli un enfant blessé est lourde de tension et illustre à merveille le fait que dans l'autre camp rien n'est blanc.
L'ambiance pesante est intelligemment mise en image. Le dessinateur a su jouer avec une approche classique des planches, qu'il parvient à déconstruire par moments, en fonction de l'avancée de l'intrigue. Certaines d'entre elles, audacieuses, contribuent à générer un effet réellement oppressant. La colorisation, notamment l'utilisation de tonalités sombres qui passent violemment aux teintes jaunâtres ou au rouge, attirent l’œil des lecteurs pour, parfois, mieux les tromper ou les secouer.
Enfin, il convient de mentionner que l'éditeur propose sur son site une bande-son originale pour accompagner la lecture. Cette expérience pluri-artistique à laquelle contribue Ilia Osokin est tout aussi surprenante que plaisante.
Loin d'être une simple relecture ou une variation, Journal de 1985 est un album puissant et réfléchi, qu'Orwell n'aurait pas dénigré. Un incontournable !
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::: CET AVIS CONTIENT DES SPOILERS :::
Une déception monumentale.
Pour faire simple, je n’ai rien compris et beaucoup de choses m’ont semblé incohérentes.
« Journal de 1985 » étant la suite directe de « 1984 », je vais comparer les deux pour étayer mon avis.
Sur la forme : je trouve que l’absence des couleurs qui donnaient à 1984 une lisibilité exceptionnelle est regrettable. Il y avait également une place plus importante laissée aux architectures et aux intérieurs, qui sont des éléments fondamentaux pour rapetisser les individus et montrer l’aliénation de leur condition.
Dans 1985, les décors sont dessinés de façon plus approximative, avec beaucoup moins de ces espaces surdimensionnés, de type soviétique, que des troupeaux humains disciplinés arpentaient à pied (superbes pages jaune et violet dans 1984).
Enfin, dans 1985, l’ajout de la neige brouille la dimension rectiligne de la ville, ce qui la rend beaucoup moins oppressante.
C’est le monde visionnaire d’Orwell en entier, si avilissant, si déshumanisé, qui semble avoir disparu ici au profit d’un univers vaguement post apocalyptique, banalisé, mal défini. Comparativement, l’impact visuel de 1985 est bien moindre.
Parlons un peu des personnages : dans 1984, Winston Smith avait une épaisseur. Il représentait un humain ordinaire, vulnérable, menant un combat désespéré. On le voyait évoluer, se dresser peu à peu contre le système. Un homme animé par l’amour et la justice, dans lequel on pouvait tous se projeter. Sans oublier le rôle magnifique de Julia.
Dans 1985 Lloyd Holmes n’incarne rien, aucun symbole. En tant que lecteur je n’ai strictement rien ressenti pour lui. Dès le départ on voit qu’il est un pion de cette résistance improbable dont on ne saura rien. Et son combat est plus personnel. Il n’a ni l’universalité ni l’envergure de celui de Winston.
Tous les autres personnages, eux, ne font que de la figuration.
Et que dire de l’artifice du jumeau ? C’est tellement éculé ! Comment peut-on encore l’utiliser dans une œuvre un tant soit peu exigeante ? Même dans une mauvaise série B, le recours à un jumeau caché, qui réapparaît comme cela, serait risible.
Sont-ce réellement des jumeaux, d’ailleurs, ou est-ce un tour de passe-passe scénaristique ? Je n’en sais rien. Mais c’est tellement gros que j’ai décroché à ce moment-là.
Leurs « retrouvailles » sont le point de bascule de l’histoire. Pourtant, tout au long de cette séquence, des questions sans réponse se multiplient : ces retrouvailles ont-elles été orchestrées ? Si oui, par qui et pourquoi ? Pourquoi, en tant que simple technicien de stade 3, Gordon vit dans un tel luxe et peut éteindre son télécran comme O’Brien ? Comment, sous kallocaïne, Lloyd peut-il se faire passer sans problème pour son frère, en mentant (p.147) alors que c’est censé lui être rigoureusement impossible ? Pourquoi Gordon aurait-il pris le risque de confronter son frère, seul, sans même avoir allumé son télécran ? Lequel des deux a trahi leurs parents (Gordon p.66 ou Lloyd p.230-231) ??
Rien que pour ce passage, la liste des incohérences est longue, beaucoup trop longue…
Aucune question ne restait en suspens dans 1984.
C’est terriblement irritant de lire un album et de se demander constamment pourquoi ceci, pourquoi cela…
Sur le fond : le postulat de base n’est pas crédible.
Le monde d’Orwell n’a aucune échappatoire, 1984 l’a prouvé. Aucun groupe factieux structuré ne saurait exister. « L’organisation » rebelle dans 1985, retranchée dans un « bunker » (un cliché) est donc parfaitement invraisemblable. Quand on se souvient des précautions que Winston et Julia déployaient pour simplement faire l’amour, on voit bien que les déplacements de Lloyd pour se rendre au bunker sont aberrants. Surtout après qu’il a perdu « Le livre de Winston », ce qui devrait faire de lui le criminel le plus recherché de Londres. Ça ne tient pas une seconde. Car la scène du début avec un homme (Lloyd donc, si je comprends) qui taggue un mur à la bombe en pleine ville, et qui en plus réussit à s’échapper, est absurde. Cette situation ne peut avoir lieu dans ce monde, où nul ne pourrait agir ainsi sans avoir été repéré depuis longtemps, et encore moins s’en sortir. On ne pourrait déjà pas l’imaginer en Corée du Nord, pensez donc sous le joug du tout puissant Big Brother ! Si Lloyd réussit aussi facilement, il n’y a alors plus d’obstacle à ce que tout un chacun puisse le faire à son tour. Impensable.
Autre exemple qui m’a beaucoup gêné : il est dit p.44 que le premier passage a été écrit à la demande du Parti, par le collaborateur de O’Brien. Pourtant, on y lit « ces pauvres types n’avaient rien à révéler » ou « ces gémissements étaient curieusement bien plus insupportables à entendre que des hurlements ». Quelle soudaine empathie ! Un assistant du Parti tiendrait-il de tels propos ? A l’évidence non. C’est complètement illogique et, encore une fois, contraire à la vision développée dans 1984.
D’ailleurs, peut-être conscient que son fil est fragile, Xavier Coste appuie parfois lourdement son propos. Comme quand il croit bon de préciser, dès le début, « agence de presse étatique océanienne » (p.15). Ah bon ? Parce que dans le monde d’Orwell, une agence de presse pourrait ne pas être étatique ? Bien sûr que non, c’est un pléonasme.
Idem quand O’Brien demande s’il y a des images du taggueur et que les miliciens répondent « c’est grâce aux caméras mises en place que l’individu a été repéré » (p.20), comme s’ils se félicitaient d’un nouveau dispositif de vidéosurveillance. C’est inepte ! Les caméras sont omniprésentes depuis longtemps et sont le fondement même de cette société. Le rappeler de cette façon n'a pas de sens et affaiblit considérablement la portée du texte.
Et en parlant de sens, même après l’avoir lue deux fois, je n’ai toujours pas compris ce que signifie la séquence finale en scaphandre, avec ces « robots » (p.230 à 235) que j’ai trouvé exagérée, voire lunaire, car sans rapport avec la technologie de l’époque.
Bref, ces réinterprétations et toutes ces incohérences ruinent le récit et dévoient l’œuvre originelle. Car justement, 1984 est simple, mécanique, implacable. Il ne contient aucune outrance. Il donne même souvent l’impression d’être en dessous de la vérité. Cela participe énormément à la sensation de terreur qui s’en dégage. Terreur qui cherche à s’imposer dans 1985, mais qui n’atteint jamais l’effroi sourd, aveugle et impalpable qui transpire de 1984.
Je ne vois dans 1985 qu’un palimpseste de 1984, en beaucoup moins bien. La trame suit globalement le même schéma, sans rien apporter de nouveau. Les enfants qui trahissent leurs parents sont déjà présents dans 1984, de façon bien plus fine, p.29 (« La pauvre femme devait vivre dans la peur de ses propres enfants »), et les soi-disant « révélations » finales n’en sont pas, puisque la thématique était déjà abordée dans 1984, p.132 (« Je pense qu’il n’y a même pas de guerre contre l’Eurasia. Je parie que les bombes-fusées qui tombent chaque jour sur Londres sont envoyées par le gouvernement pour maintenir le peuple dans la peur »), montrant au passage la sagacité et la clairvoyance de Julia.
Je pourrais multiplier les exemples.
Ma conclusion est que Xavier Coste, fort du succès de 1984, s’est senti légitime pour lui donner une suite, maintenant qu’il est dans le domaine public. Idée légèrement saugrenue qui pourrait passer pour extrêmement présomptueuse. Il est certes un bon auteur de bande-dessinée, mais peut-il être comparé au génie incontesté d’un George Orwell, qui a créé une des œuvres les plus influentes, les plus reconnues, les plus déterminante de la culture contemporaine mondiale ? Un peu de sérieux… poser la question, c’est déjà y répondre. Je ne juge pas X. Coste, je dis juste que non, il n’est évidemment pas à la hauteur d’Orwell, et il est fort étrange qu’il ait pu croire un seul instant la chose possible.
J’ai acheté « Journal de 1985 » en me fiant aux bonnes critiques, mais aussi parce que j’ai adoré 1984. Ma désillusion est amère, totale. Surtout parce que j’aurais pu vraiment l’aimer si cela avait été une proposition plus scrupuleuse, plus accessible.
J’ai été surpris de constater qu’il n’y a même pas quelques lignes en postface pour justifier cet album, éclaircir l’intention de l’auteur et rendre hommage à l’œuvre immense d’Orwell. Comme si Xavier Coste n’avait pas à s’expliquer. J’y vois un manque criant de modestie.
Au-delà de n’avoir pas compris ce que cet album raconte, je n’ai surtout pas compris ce qu’il apportait à l’univers orwellien. Même si je n’en suis pas un spécialiste, son œuvre est patrimoniale, elle appartient à tout le monde. J’étais donc censé me sentir concerné par cette « suite ». Là, hélas, j’en suis loin, très très loin.
Cette BD est peut-être formidable, puisque certains le disent et lui mettent des « coups de cœur » mais elle n’est pas pour moi. Je regrette de l’avoir achetée et je ne la garderai probablement pas.
Ce n’était que mon opinion, merci à ceux qui m’ont lu jusqu’au bout.
Je mets rarement la note 5; Mais là ça mérite vraiment. Un album indispensable comme il en parait peu! L'ambiance oppressante est magistralement instaurée par un dessin superbe qui révèle la folie d'une dictature autarcique et la vacuité d'un système totalitaire où toute création tout sentiment et tout désir sont proscrits... et quelle fin ! Une suite largement digne de 1984 que n'aurait pas reniée ORWELL