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énie, visionnaire, mégalomane, ingérable… rares sont les dithyrambes ou critiques qui n’ont pas été accolés à Orson Welles (1915 - 1985). À l’opéra, il aurait été une diva capricieuse, au théâtre et au cinéma, il fut un démiurge pas moins excessif, doté d’une force de travail inarrêtable et d’une exigence artistique sans borne. Auteur d’une seule œuvre pour certains, victime expiatoire de l’industrie hollywoodienne pour d’autres, il aura durant son existence connu tous les statuts, de la gloire au bannissement (plus ou moins volontaire). Quarante ans après sa disparition et près de soixante-quinze après la sortie de Citizen Kane, il continue d’intriguer et de passionner. Ses films sont décortiqués par les spécialistes et, palmarès après palmarès, ils trustent toujours les plus hautes places sur les podiums.
À personnage plus grand que nature, le traitement se doit évidemment être à l’avenant. Après s’être fait les dents avec un musicien pas moins hors norme (Thelonious Monk, Martin de Halleux, 2018), Youssef Daoudi était l’auteur idéal pour tenter de cerner cet artiste total qui jouait sa vie autant qu’il la vivait.
Le récit débute au début des années soixante-dix, au moment où Welles tente (euphémisme) de réaliser The Other Side of the Wind, son chef-d’œuvre selon ses dires (le film sera abandonné inachevé, après un tournage impossible qui s’étira de 1970 à 1976, une version est sortie en 2018). Devenu une caricature de lui-même, aux abois et prêt à toutes les avanies pour trouver de l’argent, il accepte de revenir sur sa trajectoire. Figurer dans une bande dessinée ? Pourquoi pas, au point où il en est. Immédiatement, la narration devient une nouvelle possibilité de se mettre en scène, pour le plus grand plaisir du scénariste et des lecteurs. Enfance (de nos jours, il aurait été diagnostiqué HPI dans la seconde), adolescence rebelle (le contraire aurait été étonnant), le théâtre, la radio et, à vingt-cinq ans, les honneurs d’Hollywood, les informations se succèdent, se chevauchent et se nourrissent mutuellement. Les envolées lyriques ou graphiques sont pléthores et les références se multiplient. Avertissement, mieux vaut avoir un minimum de connaissance de l’histoire culturelle et politique de cette époque afin de pouvoir saisir tous les tenants et aboutissants des déboires qu’a dus affronter Orson.
Le vrai du faux, l’exagération permanente, la réalité, la légende, tout n’est en fait qu’un prétexte pour raconter. Le fin mot de l’histoire se montre finalement on ne peut plus simple et se résume à un mot : la création, puis son partage via la pellicule, les ondes ou les tréteaux. Le reste n’est que trivialité ou secondaire.
Baroque, mais pas rococo, entremêlé sans jamais perdre son fil et très libre visuellement, Orson Welles, l’artiste et son ombre ménage la chèvre et le chou. Un biopic complet et tenu qui arrive, par moments, à laisser de côté les anecdotes et prendre le temps de dresser un portrait singulier et percutant d’un esprit qui ne l’était pas moins. Bravo.
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