Q
uand est-ce que tout a commencé ?
Est-ce le sept octobre 2023, lors de l'attaque abominable du Hamas ?
Est-ce quelques jours plus tard, quand Tsahal se lance dans une opération punitive extrêmement violente pour détruire l'organisation terroriste, sans se soucier des populations civiles ?
Est-ce lorsque les accords d'Oslo ont été définitivement enterrés ?
Est-ce que cela remonte à l'attentat de Munich en 1972 ou à la création même de l'État Hébreu en 1947 ?
Cela n'a plus d'importance depuis longtemps. Il n'est même plus question de savoir si une hypothétique ligne rouge a été dépassée par l'un ou l'autre. L'horreur est aveugle. Il est devenu aussi difficile de se taire que de parler, parce qu'il est impossible d'avoir raison et impensable d'avoir tort. La situation semble avoir définitivement aboli toute notion de nuances.
Joe Sacco a longtemps hésité avant de s'exprimer. Il connaît bien le sujet. Il a consacré deux reportages essentiels à la question israélo-palestinienne. S'il s'est toujours placé dans la perspective palestinienne, c'est dans une volonté de rééquilibrer les points de vue. Il n'a pourtant jamais sombré dans l'angélisme. Il a toujours été conscient que le conflit, même s'il est dramatiquement asymétrique, ne se résume pas à un camp de gentilles victimes d'une injustice géopolitique qui se fait massacrer par des méchants. Il a des amis sur place, qui survivent sous les bombes. Face aux exhortations à faire entendre sa voix, le journaliste reprend le crayon pour livrer son point de vue.
Ce livre très court s'inscrit dans une dimension pamphlétaire. Joe Sacco tente de mettre de l'ordre dans ses pensées. Il a été horrifié par les massacres commis par le Hamas. Il était résigné à une réaction très dure de l'armée israélienne. Guerre à Gaza entend pas proposer une description de la situation sur place. Cette dernière est suffisamment présente dans les médias. Le propos de ce livre reste très américano centré, insistant sur l'hypocrisie de l'administration Biden, faisant mine de réclamer la paix tout en fournissant des armes en flux continu. Il dénonce également la rhétorique de dirigeants israéliens, Benjamin Netanyahu et May Golan en tête. Il fait surtout preuve d'un pessimisme terrible sur les chances d'une issue pour le peuple palestinien. Certains reprochent à cette bande dessinée de n'aborder qu'à peine le sort des victimes israéliennes de l'attaque du sept octobre. C'est se tromper sur le but de cet essai dessiné, finalement très anecdotique et qui ne parlera qu'aux convaincus. Même à ces derniers, il paraîtra de toute façon un peu vain. Il vise surtout la logique de guerre à outrance, nourrie depuis l'étranger pour de mauvaises raisons et qui a débouché sur une crise dans laquelle un génocide semble être le dernière option pour en sortir. Le constat est terrible, mais l'exercice paraît ne trouver sa justification que parce que l'auteur devait s'exprimer, sans avoir à proprement quelque chose de neuf à dire. Le résultat est sincère, mais ne dépasse pas l'intérêt d'une suite d'éditoriaux un peu répétitifs. Quelques fulgurances sont quand même à relever.
En ouverture, l'auteur hasarde cette phrase terrible: "Est-ce un génocide ? Ou un cas de légitime défense ? Je propose autodéfense génocidaire". En conclusion, il évoque un potentiel dixième cercle de l'enfer. Implacable.
l est très étonnant de lire ce court cri de rage du documentariste Joe Sacco quand on a touché à au moins l’un de ses très importants travaux. Symbole du journalisme rugueux, allant au fond des sujets avec une méthode et une rigueur qui ont fait sa légende, l’américain publie peu car son travail de terrain lui prend du temps. J’avais expérimenté Gaza 1956 et avait été autant impressionné par la méticulosité de son enquête que par des dessins qui peuvent rebuter. Ici (et pour la première fois je pense) son travail est tout autre puisque l’urgence exigeait de lui une expression qu’il reconnaît aussi vitale que futile devant le génocide en cours. Et c’est la première marque de ce fascicule que d’illustrer comme d’autres qui ont étudié l’horreur sur le long terme, comme certains journalistes de guerre ou humanitaires habitués aux abominations des zones de guerre, que les plus habitués à la barbarie humaine restent sans voix devant la fuite génocidaire du gouvernement et de l’armée israélienne à Gaza, et maintenant au Liban.
Publié sur un site web avant d’être repris par son éditeur français historique (les droits vont intégralement à des associations d’aide à Gaza… achetez le!), Guerre à Gaza ne vise pas une démarche journalistique, survole la question (aujourd’hui très documentée) et semble autant le cri d’un américain voyant sa nation (autoproclamée « patrie de la Liberté ») sombrer que celui d’un homme effaré par le silence assourdissant de l’Occident alors que le peuple victime de l’Holocauste s’affaire sous nos yeux à régler la « question palestinienne » avec la méthode du Talion, en ce premier génocide du XXI° siècle. Sacco y reconnaît sa naïveté pacifiste devant l’intention assassine de l’Etat israélien… bien avant 2023. Ceux qui connaissent leur Histoire et ceux qui ont suivi les travaux de Sacco savent de quoi on parle. Mais l’auteur dénonce pèle-mêle la manipulation médiatique, le maccarthysme qui a lieu dans bon nombre de « démocraties », le storytelling des néo-fascistes réécrivant la réalité avec les mots qu’ils jugent vrais. Et le grand courage de Joe Sacco est d’assumer son propos sans crainte d’être marqué du sceau de l’infamie antisémite, activité quotidienne d’un système médiatico-politique dominé par le Capital.
Guerre à Gaza est un maigre objet, un maigre cri, mais une urgence vitale pour son auteur tétanisé qui devrait rappeler à tous les humanistes que nous sommes nombreux et que c’est d’abord par le silence des démocrates que les assassins mènent leurs projets. Alors achetez Guerre à Gaza, offrez Guerre à Gaza. Et ne restez pas silencieux, comme disait Stephane Hessel, indignez-vous!
Lecture indispensable pour qui veut comprendre les raisons lesquelles Netanyahu et son ministre des armées sont réclamés par le procureur de la Cour Pénale Internationale, un an après l'attaque du Hamas et le début du génocide israélien à Gaza.