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aven a mené sa barque avec une certaine maestria. Il a récupéré les émeraudes et s'est débarrassé de Lady Darksee. De retour au fort, rien ne se passe comme prévu. Le "Capricorne", avec lequel il comptait prendre le large, est échoué sur la plage et les derniers membres de l'équipage de la flibustière ne comptent pas se laisser faire. De plus, il sent le souffle des indigènes qui peuvent débouler à tout moment. Le temps presse. Il lui faudra beaucoup d'audace et un brin de chance pour s'en sortir.
Une île inhospitalière peuplée de féroces cannibales, un trésor, des pirates qui se trahissent sans vergogne et d'honnêtes gens coincés dans ce jeu de dupes... Raven semble n'éviter aucun des clichés de ce type de récit. Lauffray assume pleinement de se conformer à l'ADN des récits d'aventures maritimes. Sa trilogie avance à toute allure, privilégiant l'efficacité à la vraisemblance. Qu'importent les facilités, tant que le plaisir est présent. Que Lady Darksee surgisse de nulle part pour régler ses comptes au moment le plus (ou le moins) opportun relève presque du passage obligé. Mais le lecteur serait presque déçu si cette ultime confrontation n'avait pas lieu. La vraisemblance ne fait pas le poids face à la puissance d'une mise en scène parfaitement calibrée.
Cette série aura fait preuve d'une parfaite cohérence au cours de ses trois tomes, à tel point que ses défauts relèvent quasi du parti-pris artistique. Ce qui compte, c'est l'odeur de la poudre, le vent qui gonfle les voiles, les embruns qui fouettent le visage, le reflet de l'or sur les visages... L'auteur adresse un hommage vibrant à l'imaginaire associé au terrible pavillon noir. Le divertissement est au rendez-vous. Certes, l'intrigue est superficielle et sacrifie la psychologie des personnages au profit d'un grand spectacle débridé. De ce point de vue, Furies tient presque du plaisir coupable.
Notons que, dans les dernières pages, lors de cet inévitable affrontement final, Lady Darksee a enfin droit à son monologue. Elle a enfin l'occasion de gagner un peu en substance, révélant en partie le mystère de ses origines. Il n'est d'ailleurs pas impensable que la série perdure au-delà de ce troisième épisode. Ce dernier tome clôt cette adaptation très libre d'une aventure de Conan le Barbare, mais les personnages imaginés par le dessinateur de Long John Silver ne sont pas du genre à prendre leur retraite. L'appel du large pourrait l'emporter.
S’il y a bien quelque chose que j’apprécie en BD, c’est quand le dernier tome d'une série est plus consistant que les autres. Pour « Furies », Mathieu Lauffray nous gratifie de 78 planches, soit 20 de plus que l'épisode précédent. Ce format généreux offre à l’auteur la galerie rêvée pour déployer et faire admirer son talent.
Qu’est-ce qu’il est fort, ce bougre ! Un génie du dessin qui nous en met littéralement plein la vue. Paysages, personnages, décors, costumes, cadrages, lumières, couleurs, découpage… N’en jetez plus, tout est parfait, son style est juste hallucinant.
Cette virtuosité graphique ne peut toutefois pas faire complètement oublier un scenario riquiqui et copieusement caricatural. Mais peut-on demander à des pirates en quête de trésors d’être subtils ? Evidemment pas. On est là pour des combats, de l’aventure, l'odeur de la poudre et des morceaux de bravoure. Et croyez-moi, on en a pour notre argent ! Même si l’histoire tient sur un post-it, elle a tout de même du corps et se laisse lire avec un plaisir régressif qui incite à l’indulgence. D’autant que son héros présente une personnalité d’une belle ambivalence. Mathieu Lauffray, avec cet énorme et superbe boulot, valide donc son niveau « auteur complet » avec brio.
D’ailleurs, avec une fin aussi ouverte et le succès que ce troisième tome ne manquera pas de recueillir, difficile d’imaginer qu'il tourne définitivement la page « Raven ».
A suivre..?