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lava est papa, ouvrier le jour, peintre la nuit. L’annonce de l’arrivée d’une petite fille l’a finalement convaincu de rester aux côtés de Nina, à la mine que tous s’évertuent à maintenir en vie. Seulement, les débouchés se font rares. Pendant longtemps, produire plus que de raison aurait valu une médaille aux mineurs et mécanos qui se tuent à la tâche. Mais l’URSS n’est plus. Dans le monde capitaliste qui a pris le relai, chaque contrat se mérite, couteau entre les dents. En attendant que la situation ne s’améliore, tout le personnel est au chômage technique. De son côté, Dimitri Lavrine a atteint son but : il est plus riche qu’il ne l’a jamais été. Plus isolé que jamais, aussi, et confronté à un sentiment de vacuité qui s’empare de sa vie.
Les personnages avant l’histoire. Voici qui décrit en bonne partie la démarche créative de Pierre-Henri Gomont (Pereira prétend, Malaterre, La fuite du cerveau). Slava n’échappe pas à la règle. Avant le contexte et les péripéties, c’est pour les protagonistes que le bédéphile se passionne. Dans ce troisième volume, chacun prend en épaisseur et en ambivalence. À commencer par le personnage-titre : est-il véritablement acteur de tout ce qui l’entoure ? Le jeune homme à l’allure bohème semble davantage spectateur, dépassé par tout ce qui se joue autour de lui. Mais son rôle de narrateur le place aussi dans la position de celui qui analyse le monde, alors qu’il se trouve confronté à de douloureux choix à faire. Lavrine, aussi, sort d’une forme de manichéisme pour révéler un autre visage et nourrir des réflexions sur le sens profond de la vie. Nina, bosseuse, courageuse et altruiste, continue d’être infiniment attachante et incarne une forme de naïveté face à la brutalité du libéralisme.
À travers eux, les bouleversements de la Russie se racontent. Plus secondaire, Volodia en est probablement la plus éclatante illustration. En une décennie, le pays connaît une transformation que l’Occident a digéré en plus d’un siècle. Du jour au lendemain, tout ce qui rythmait les journées du grand gaillard aux cheveux gris, toutes ses certitudes sur la manière de travailler, sont mises à mal, ébranlées. Dans le joyeux bordel que constitue l’après-communisme sous Boris Eltsine, certains prennent le virage sans difficulté et s’enrichissent grassement. D’autres découvrent un nouveau fonctionnement auquel ils ne parviennent jamais à s’acclimater. Sans verser dans le cours d’histoire (ou d’économie), l’auteur parvient à mettre en exergue avec pertinence les excès d’une économie de marché totalement débridée. Mais le propos n’est jamais lourd ou moralisateur. Animant ses planches à la manière d’une pièce de théâtre, Pierre-Henri Gomont touche juste, avec des textes d’une grande finesse. La comédie est omniprésente et le lecteur peut rire de bon cœur jusqu’à ce que, sans crier gare, l’émotion prenne le pas. Agrémentée de la dose d’action qu’il convient et de quelques twists, la lecture est tout à la fois poignante, drôle et menée à un rythme endiablé. Tout cela fait de Slava une œuvre inclassable, mélange de genres multiples et totalement à part.
Conclure une série n’est jamais chose aisée. Avec l’ultime épisode de sa trilogie, Pierre-Henri Gomont appose à son ambitieux projet un magistral point final.
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Lire la chronique du tome 1 (Après la chute), la chronique du tome 2 (Les nouveaux Russes) et l’interview de l’auteur.
Superbe conclusion de la trilogie ! Avec un texte et un dessin à la fois énergique et tout en finesse, Pierre-Henry Gomont est aussi un merveilleux conteur qui construit une œuvre singulière, dans un style unique et immédiatement identifiable, à l'égal d'un Hugo Pratt ou d'un François Bourgeon. Slava est pour l'instant son chef d'œuvre, espérons qu'il y en aura d'autres !
« Slava » est l’une des bandes dessinées les mieux écrites que j’ai pu lire.
Le vocabulaire, le verbe, la langue de Pierre-Henry Gomont sont d’une richesse peu commune. Drôles ou acerbes, ses mots, ses saillies, sonnent toujours justes et nous touchent immanquablement. Son style truculent, volontiers excessif, généreux d’éloquence, véhicule une quantité insoupçonnable d’émotions.
Le dessin, lui, est énergie pure.
Les personnages, beaucoup plus élaborés qu’ils n’y paraissent de prime abord, semblent plus vrais que nature avec leurs gueules pas possible. L’expressivité élastique de leurs visages, leurs postures, les font immédiatement exister et créent une complicité précieuse avec le lecteur.
Quant aux décors, on devine l’attention que l’auteur leur a portée pour ancrer son récit dans une réalité crédible. Avec en toile de fond des paysages noirâtres, comme croqués sur le vif, chaque action se déroule dans un de ces lieux typiquement soviétiques, que ce soit par leur faste rococo, ou au contraire, par la froide géométrie d’architectures brutalistes ou de sites industriels rafistolés aux squelettes de ferraille rouillée.
Tous paraissent parfaitement authentiques.
Cependant, il ne faudrait pas faire l’erreur de séparer la partie graphique de l’écriture.
« Slava » est un tout indissociable, on ne peut plus cohérent. Mais surtout – et c’est de loin le point le plus important – cette cohérence est au service d’une véritable histoire. Une de celles qu’on n’imaginait pas. Une histoire simple en apparence, dont la construction suit pourtant un schéma complexe aux imbrications multiples.
Abouti, maitrisé de bout en bout, le scenario sans faille de Pierre-Henry Gomont a une âme. Il reste constamment fluide, gagnant en épaisseur au rythme d’un crescendo dantesque, jusqu’à ce final absolument magnifique.
Viscéralement humain, burlesque, sombre, profond, fataliste, roboratif, « Slava » est une réussite totale qui m’aura laissé des étoiles dans les yeux.
Quel panache ! P’tain de chef d’œuvre…
Dans la droite lignée des deux premiers fabuleux albums. Jamais l'auteur ne se repose sur ses lauriers. A lire absolument!
Pas de long commentaire, je me suis régalé … punto.
Jolie palette de caractères, analyse parfaite de la nature humaine, spirituel, très fin, poétique … vaut pour l’ensemble de la série.
Pierre-Henry Gomont m'avait déjà bluffé avec Malaterre, mais comme on pouvait l'espérer, son triptyque SLAVA est son chef d'oeuvre. S'il est vrai qu'il prend son temps pour arriver à sa conclusion (flamboyante, épique, tarantinesque mais avec le surligneur philosophique en plus), il a pris soin de donner énormément de matière et donc de personnalité à tous ses protagonistes. La voix off du personnage central, Slava (proche de Candide, le bonhomme gagne en profondeur au fil des claques reçues), égrène des remarques d'une belle profondeur, on comprend l'âme russe à travers son histoire ; on confirme surtout la noirceur de l'âme humaine sous toutes les latitudes. Magnifique, Gomont est comme Blain, l'un des dessinateurs les plus prometteurs de l'époque.