Le tombeau des chasseurs

L 'image des tranchées de la Grande Guerre souffre de quelques idées reçues. Certes, à la fin de l'année 1914, le front entre la France et l'empire prussien environne les sept cent cinquante kilomètres. Mais de cette ligne, le grand public n'a retenu que des images provenant des manuels scolaires, ignorant que des hommes se sont battus pour quelques mètres de terre et de roches dans les massifs montagneux. Dans la première année de la phase dite de position, les Vosges sont le théâtre d'âpres combats inutiles, le front demeure figé. C'est pourquoi, le général Joffre décide d'une grande offensive sur les massifs du Linge et du Baerenkopf. C'est ici que le jeune chasseur alpin Antoine Granet va devoir affronter ses peurs bien qu'il soit vite confronté à l'horreur et à l'absurdité de la guerre.

Arrivé chez l'éditeur Bamboo, dans la collection Grand Angle, Victor Lepointe a déjà agréablement surpris avec . Ici, il propose aux bédéphiles une réécriture d'un album précédemment sorti en 2017 chez un autre éditeur (Pierre de Taillac). Désireux d'apporter à la vision de cet évènement le traitement qu'il mérite, l'auteur a revu l'album. La colorisation est nettement moins terne, rendant la lecture plus appréciable et, surtout, donnant un aspect glacial aux décors correspondant parfaitement à l'ambiance voulue. De plus, certaines planches ont été complètement remaniées, avec l’incorporation d'éléments nouveaux. Le trait de l'auteur est très réaliste. Soucieux d'authenticité, il a su se nourrir des sources iconographiques autour de cette bataille, afin d'en nourrir son style. Des armes aux uniformes, en passant par les visages, tout est véridique.

Impressionné dans son enfance par la Première Guerre mondiale, Victor Lepointe a toujours voulu la traiter une fois devenu professionnel du neuvième art. S'appuyant sur des journaux de soldats et sur le formidable ouvrage de François Tisserand, le Linge, tombeau des chasseurs paru en 1983, le scénariste en crée un récit intimiste. Privilégiant les encadrés qui montrent les pensées du personnage principal, les lecteurs suivent le cheminement de ses pensées. Les journées d'attentes, les sorties en dehors de la tranchée, les assauts et leur intensité sont ainsi vécus de l'intérieur grâce aux incursions dans l'esprit d' Antoine. Le déroulement de l'histoire en devient intimiste, sans rien omettre de la boucherie ambiante accompagnant ce combat surnommé le tombeau des chasseurs. Les bédéphiles en découvriront la raison en lisant cet album. Car ce dernier a aussi, pour ne pas dire surtout, une portée mémorielle. L'oubli étant le corollaire de la mémoire, cette bataille, qui fit plus de dix mille morts dans chaque camp, fut marquante dans l'histoire des chasseurs alpins, mais elle fut aussi rapidement mise de côté dans les livres au profit d'autres.

Le tombeau des chasseurs est un très bon exemple d'album historique réussi. Le regard réaliste et humain de Victor Lepointe sur la bataille du Linge ne peut que toucher les lecteurs qu'ils soient amateurs d'Histoire ou non.