I
l se dit que Lord Handerson cherche une épouse… et que la rente promise à l’heureuse élue s’élèverait à quatre-vingt mille livres. Il n’en faut pas plus pour pousser Lady Watkins à tenter le coup. Elle embarque ses trois filles (Margareth, Maria et May) et prend la direction de Blenkinsop Castel. Arrivée sur place, elle prétexte un incident sur la route pour demander l’hospitalité pour la nuit. Les sœurs sont acceptées mais la mère doit s’en retourner, faute d’être une femme célibataire. Seule Sadima, la servante, peut rester. Un vaste château, où l’or foisonne de toutes parts, se révèle alors devant elles. Rapidement, le maître des lieux annonce la couleur. Pour espérer l’épouser, un test doit être réussi : passer une nuit complète dans une curieuse chambre, meublée d’un lit aux dizaines de matelas empilés. Les trois princesses s’y cassent les dents. Jusqu’à ce que vienne le tour de Sadima de tenter le défi.
Après De cape et de mots, voilà la seconde fois qu'un roman de Flore Vesco est adapté en BD. Pour cette réécriture (en profondeur) du conte de La princesse au petit pois, c’est Mayalen Goust qui est à la manœuvre. Et le résultat s’avère particulièrement séduisant. Le trait d’une grande élégance, qui s’appuie largement sur l’usage des couleurs, met admirablement en images la poésie du récit. Aux jeux de mots et palindromes, omniprésents, l’artiste ajoute des jeux de formes inspirés. Débarrassée de tout carcan que lui imposerait le medium, Mayalen Goust brise les cases avec des découpages souvent inventifs.
Le propos se trouve renforcé par ces choix. Derrière le conte en apparence classique, se dissimule une véritable déconstruction de nombreux stéréotypes. D’histoire d’amour, il est pourtant bien question. Mais sous un angle très éloigné de la proposition initiale d’Hans Christian Andersen. Selon l’âge du bédéphile, les niveaux de lecture sont différents. Pour les plus jeunes, il peut s’agir d’un éveil à la fois tendre et subtil à l’intimité. Pour les plus âgés, des discours pertinents sur le plaisir féminin ou encore le consentement peuvent être lus entre les lignes. Dans un cas comme dans l’autre, l’album plante de petites graines qu’il faut prendre le soin d’arroser.
D'or et d'oreillers est une lecture à savourer. Deux belles bandes dessinées en autant d’adaptations : décidément, Flore Vesco inspire le neuvième art.
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Entamer la lecture de « D’or et d’oreillers » équivaut un peu à franchir le fameux miroir d’Alice. D’abord, il y a cette très jolie couverture mise en valeur par la technique d’impression à l’or (logique) du titre, un travail éditorial soigné très en phase avec le contenu empreint d’une fine poésie. Parce que cet album est une véritable gâterie d’un point de vue graphique, parvenant d’emblée à envelopper le lecteur comme le ferait un drapé de soie, et c’est bien cette sensation qui nous accompagnera sans discontinuer au fil des pages. Le travail sur le dessin est tout à fait remarquable, sur ce plan, il est rare qu’une œuvre de bande dessinée procure une telle extase. Il y a la grâce et la sensualité du trait, la diversité dans la palette de couleurs, agencées avec un goût incomparable, le tout étayé par une mise en page variée, avec nombre de pleines pages se laissant admirer avec bonheur. Mayalen Goust montre ici toute l’étendue de son talent, bien plus que n’auraient pu les faire ses précédentes productions, qui pourtant livraient déjà un bon aperçu de son potentiel artistique. « D’or et d’oreillers » est dans la parfaite lignée d’une autre parution sortie il y a trois ans, « Le Jardin – Paris » de Gaëlle Geniller, qui produisait également un effet très similaire.
Pour illustrer ce récit se déroulant dans le cadre de l’Angleterre victorienne, l’autrice mêle avec brio et délicatesse un style un peu gothique à un art nouveau revisité, ce dernier étant incontestablement le mouvement artistique le plus sensuel de l’Histoire européenne. Ainsi, une telle approche est tout à fait appropriée pour narrer cette histoire d’amour impossible entre un jeune lord reclus dans son immense château et une « roturière », la néanmoins belle et mystérieuse Sadima.
La fascination de l’objet se trouve renforcée par le choix du genre, le conte. Le récit de Flora Vesco, dont s’est inspiré Mayalen Goust, respecte les fondamentaux avec tout ce qu’il faut de noirceur nécessaire. Avec moult références aux grands classiques : « Cendrillon », « La Belle et la Bête », « La Princesse et le Petit Pois », « Alice au pays des merveilles » (avec ici un lapin qui va mal finir) … Et c’est bien la magie du conte qui permet de métaphoriser cette relation toxique et fusionnelle entre une mère diabolique et son fils pris au piège de sa folie possessive, repoussoir inébranlable pour toutes les potentielles épouses. Autour d’un axe narratif linéaire viennent s’enrouler des digressions très oniriques mais complémentaires. La seule chose que l’on pourrait regretter est que la tension liée à la folie inhérente à l’histoire, cette tension caractéristique des contes qui fait que l’on adore sentir ses cheveux se dresser sur la tête, apparaît quelque peu diluée par l’écrin graphique dans son extravagance poétique.
Malgré ce très léger bémol, « D’or et d’oreillers » demeure une belle réussite, offrant à nos yeux ébahis un très bel univers pour enchanter nos âmes de ses chatoiements. On sera presque surpris de voir que l’ouvrage n’ait pas été publié dans le cadre de la collection Métamorphose, cette dernière ayant réussi à se distinguer en faisant de la féérie sa ligne éditoriale. Ce livre ressortira très certainement comme un des musts de l’année, prouvant par la même occasion, et on ne pourra que s’en réjouir, la place croissante et légitime occupée par les femmes dans la bande dessinée.
J’ai bien kiffé cette BD.
L’histoire bien qu’abracadabrante, est assez intéressante et doit être bien plus fouillée que ce qu’on perçoit à première lecture, dans la réutilisation des contes sans les réutiliser totalement, dans une sorte de psychologie sur la place de la mère, la réalisation de soi, le regard de l’autre, etc.
Il y a énormément de choses à trouver dans ce livre, à mon avis, en le relisant attentivement, mais une première lecture nous offre une histoire déjà tout à fait correcte et prenante à suivre !
C’est très poétique, fabuleux, avec un côté réaliste dans les situations, un joli mélange de quotidien et de fable, entremêlé assez justement pour faire comme une enquête et une histoire magique à la fois.
Le dessin sert parfaitement l’histoire, entre réalisme et vaporeux, avec des cadrages originaux qui nous emmènent dans ce monde flou, des grands dessins qui annoncent l’idée dès le départ avec ce château et sa porte en forme de bouche ou cette salle à manger qui va t’avaler…
Les cases et dessins sont plus déformés au fur et à mesure qu’on sombre dans la folie, les couleurs accompagnement parfaitement le calme de leur pastel ou l’angoisse de couleurs plus sombres…
Alors je ne me suis pas trop identifié à Sadima ou au Lord, bien que j’ai apprécié le caractère de la première et le second dans sa torture, si bien que si j’ai trouvé la lecture très plaisante, je ne suis pas entré complètement dedans à retenir mon souffle sur la fin… Mais très agréable tout de même !