C
’est le mois d’août. Comme chaque année, Julie va retrouver les siens dans la demeure familiale, située au bord de la mer, pour des moments de détente et de retrouvailles. Pourtant, en cette année 2015, l’ambiance est morose. Julie est enceinte d’une petite fille, mais Thomas, son compagnon, est décédé dans un accident de voiture. La jeune femme est perdue et cherche de nouveaux points de repère. Dans cette même période, l’oncle Albert envisage de rejoindre son fils, qui vit aux États-Unis. Il a besoin d’argent et veut récupérer sa part de la propriété familiale. Il ne semble pas y avoir d’alternative à la vente. Chacun est bouleversé par la perspective de passer là son dernier été, dans cette maison qui a été le théâtre de joies, de disputes, de rencontres, d’échanges, qui a été l’écrin de plusieurs vies. Parmi ces états d’âme, ces interrogations et ces souvenirs, surgit régulièrement une énigme concernant une des chambres, que Lucette, la grand-mère désormais disparue, n’a jamais voulu repeindre ni rénover. Il était question d’une promesse ancienne. Julie occupe justement cette pièce et découvre par hasard une inscription faite au crayon, sur le papier peint, cachée derrière un miroir.
Séverine Vidal (scénario) et Victor L. Pinel (dessin) ont déjà publié ensemble Le Plongeon en 2021. Tous nos étés est une réédition d’un roman graphique intitulé La Maison de la plage, initialement publié chez Marabulles en 2019. Séverine Vidal construit un récit à rebours, commençant en 2015, se poursuivant en 1968, après un printemps agité, puis en 1959, pour revenir en 1968 avant un épilogue. Le point fixe, autour duquel s’enroulent les époques et évoluent les personnages, est ce lieu de villégiature, nommé Les Trémières. Ce sont dans ses recoins, sur ses murs et dans son jardin qu’ont éclos des rendez-vous, parfois manqués, des passions tuées dans l’œuf et des existences alourdies de secrets. Seul le lecteur sera autorisé à les percer, les personnages étant réduits à des conjectures sans lendemain. Cette histoire intimiste joue sur les ambiances, les dialogues du quotidien, les confrontations entre les caractères forts, l’égrainement paisible des journées estivales. Si les corps se reposent, les esprits sont, eux, pris dans des tempêtes qu’il est souvent difficile de partager.
Pour illustrer ces tranches de vie, Victor L. Pinel propose un graphisme simple et précis, aux cases amples et lumineuses, au décor minimaliste et aux visages expressifs. Ce faux huis clos est rythmé par un cadrage varié et les changements de point de vue. Les plus petites choses peuvent contenir les plus grandes tragédies. Tous nos étés est un bel hommage rendu à la mémoire des lieux, à leur intemporalité et à la lecture qu’un individu peut en faire. Le temps passe mais les espaces aident à transmettre.
Déjà, j’aime bien les dessins, chaque personnage est bien reconnaissable, expressif, et parfaitement réussi jeune comme vieux, un joli travail.
C’est tout autant le cas pour les décors où le dessinateur n’hésite pas à aller dans les détails simples mais nombreux pour réussir ce côté semi-réaliste et nous immerger dans l’histoire (même si j’ai moins accroché sur le style des ombres des deux premières pages).
L’histoire en 4 parties a ses avantages et ses inconvénients.
J’ai adoré la première, on se retrouve vraiment dans une famille qui existe, on sent qu’il y a un passif et de longs moments passés ensemble. J’ai adoré ce qui st dit, sous-entendu, les relations qu’on devine entre les membres de la famille. Par contre, j’ai regretté que ces instants de vie n’aient pas tous leur réponse à la fin du tome, une sorte de frustration sur l’oncle et certains personnages, un détail mais qui aurait pu être développés dans la dernière partie puisqu’on y revient…
J’ai bien aimé la seconde, l’installation, le début, la question de l‘inscription qui revient… J’ai parfois était un peu perdu sur qui était qui (fils unique sans cousin, dès qu’on dépasse parent ou fratrie, je suis paumé). Mais très agréable à suivre – même si j’aurais aimé qu’on parle plus de 68 parce que ça n’est pas anecdotique de poser son histoire cette année-là et si, c’est anecdotique… Mais l’ambiance tout aussi réussie que la première.
Rien à dire sur l’ambiance de la troisième partie qui m’a à la fois plu et pas plu. A savoir, elle est très réussie et donne l’explication de l’inscription, tout nickel. Mais il y a un côté nostalgie qui me froisse le poil, parce que j’aime pas ça, la nostalgie. Et puis ce côté « faire pleurer dans les chaumières pour le plaisir de faire pleurer dans les chaumières », ça me hérisse aussi… Cela étant, puisque ça a réussi à me hérisser, c’est que c’est bien fait et je dois reconnaître que cette troisième partie est parfaite pour boucler la boucle.
Au final, j’ai lu un très joli ouvrage. Si la nostalgie m’a un peu embêté, c’est compensé par les personnages, leurs relations et les très chouettes dessins…