"Esprit, es-tu là ?" Cette question, maintes fois lue ou entendue, résume l'intégralité de ce manga. En le refermant, les otaku répondront que oui, il est bien là. Malheureusement... ou pas.
Une jolie femme séduit les esprits pour mieux les capturer. Un lycéen pense qu'une de ses camarades de classe est un zombie. Un homme-poisson tombe amoureux d'une baigneuse. Un jeune couple emménage dans un appartement ; alors qu'il entame un rapport sexuel, un fantôme apparait... L'ouvrage assemble les nouvelles du recueil Hebi-onna hajimemashita (Je suis devenue une femme-serpent) sorti en 2013, ainsi que onze histoires courtes qui furent publiées entre 2013 et 2018 dans le mensuel de prépublication Yû – Ghostly Magazine. C'est donc avec trente histoires, dont celle qui fournit le titre à cette compilation, la collectionneuse, que le lectorat francophone découvre et savoure l'univers particulier de Yôsuke Takahashi. Car, bien qu'ayant commencé sa carrière en 1977, il demeure inconnu du grand public étranger.
L'auteur maîtrise les codes des kaidan, ces contes d'horreur prisés au Japon, que la pop-culture a commencé à populariser de l'autre côté du Pacifique dans le cinéma, l'animation ou la bande dessinée. Par exemple, les critiques et les bédéphiles connaissent déjà l'importance du travail mémoriel et de vulgarisation de Shigeru Mizuki autour des Yokai. Takahashi reprend quantité de récits populaires et joue subtilement à les transposer dans la société contemporaine. C'est ainsi que le consumérisme ou le nihilisme deviennent les toiles de fond de plusieurs scénarios, ajoutant du glauque ou de la tension dans plusieurs situations. Le scénariste associe subtilement les sentiments humains les plus sombres aux histoires de fantômes, laissant les lecteurs pantois ou surpris de constater que le protagoniste est bien plus horrible que les créatures fantastiques. Ce procédé captive dès le premier chapitre court et trouve son climax dans Les papillons rouges, qui est l'une des plus belles histoires du recueil. D'ailleurs, cette intrigue met également en avant un autre point important du travail de l'auteur : la place des femmes. Ces dernières sont parfois des victimes d'hommes manipulateurs, possessifs ou violents, pour qui le fantastique peut être une planche de salut (ou pas). Elles peuvent aussi être fortes ou de redoutables séductrices. Takahashi s'éloigne des clichés du genre, fortement présents dans la production mainstream, pour construire des personnages crédibles en reprenant les codes du genre horrifique nippon. Enfin, il convient d'ajouter que l'artiste a su fusionner trois registres en un seul. Ainsi, horreur, aventure et humour noir se mêlent en une catégorie unique, ce qui déstabilise, surprend et plait.
En plus de ses qualités de conteur, le mangaka possède aussi un style graphique particulier fruit de l'évolution de sa carrière. Comme beaucoup de sa génération, il a commencé le dessin en utilisant le pinceau et la plume et il continue. Cela donne un effet visuel où la courbe est reine, avec un jeu de déliés et de pleins créant un style particulier. Ceci ajoute une forme de sensualité à un grand nombre de personnages, comme dans la Femme-serpent.
La collectionneuse est un recueil passionnant, dont l'ambiance mystérieuse unique résulte de l'union du savoir-faire scénaristique de l'auteur et de son style bien spécifique. Les amateurs de récits sur les fantômes et les esprits apprécieront. Attention à ne pas le mettre dans les mains de jeunes lecteurs.
Poster un avis sur cet album