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Racines (Lou Lubie) Racines

27/05/2024 8467 visiteurs 7.5/10 (4 notes)

M arion Montaigne se fait un plaisir de décrypter et démystifier le monde scientifique dans la bonne humeur et l’intelligence. Lou Lubie suit la même démarche avec différents faits sociaux. Toutes les deux profitent également de l’occasion pour ajouter à leurs sujets respectifs un angle féministe et dénoncer des biais profondément ancrés par des siècles, si ce n’est pas millénaires, de masculinisme. Appelez ça du militantisme si vous le voulez, il s’agit surtout d’analyses historiques, d'introspections et de «reality checks» salvateurs et éclairants.

Dans Racines – existe-t-il possiblement un titre autant parlant et signifiant que celui-ci ? -, l’autrice de Comme un oiseau dans un bocal s’est intéressée et règle ses comptes avec un attribut biologique qu’elle se coltine depuis sa naissance : ses cheveux. Fille de créoles réunionnais (son père est blanc et sa mère noire), elle a la particularité d’avoir la peau claire et des cheveux crépus. Qu’elle est impossible cette tignasse éternellement emberlificotée ! Les séances de peignage de son enfance lui sont restées en travers de la gorge et, dès qu’elle a pu décider par elle-même, Lou a tout fait afin de lisser sa chevelure. Pour plus de facilité (erreur stratégique, puisqu’il faut répéter régulièrement et à grands frais des traitements potentiellement toxiques) et, aussi, avec l’envie de ressembler à ses copines et aux images renvoyées par les magazines et Hollywood, elle va s’imposer une discipline capillaire infernale. En très résumé, il lui faudra des années pour accepter son allure et comprendre que ses peurs paniques de ne pas être «comme il faut» venaient d’un mélange de pressions sociales ancestrales et familiales.

Organisé chronologiquement, le scénario suit les pas et les mèches rebelles de l’enfance à l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte de l’héroïne frisottée. Souvenirs divers et variés, anecdotes heureuses ou dévastatrices, rappels historiques, précisions techniques sur la kératine et le business du cheveu afro, la lecture aborde tous les aspects de cette réalité qui touche principalement les femmes racisées. Résultat, ce qui pouvait au tout départ paraître comme un problème purement esthétique (et génétique) se transforme en une enquête sociologique de haut vol, aussi touchante qu’accablante à propos du sexisme systémique de la société.

Plaisant et ô combien évocateur, Racines se lit comme un véritable thriller politique rempli de tendresse et de colère. Parfait dosage entre expérience personnelle et documentaire, l’ouvrage est une réussite à tous points de vue. Le discours de fond est-il à charge ? Oui, sans doute, mais il est totalement justifié et étayé. À lire d’urgence, chez le coiffeur, par exemple.

Par A. Perroud
Moyenne des chroniqueurs
7.5

Informations sur l'album

Racines (Lou Lubie)
Racines

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Note: 3.8/5 (13 votes)

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L'avis des visiteurs

    BibAline Le 19/12/2024 à 13:44:07

    Comment faire un récit autobiographique touchant, qui pousse à réfléchir, à partir du prisme... des cheveux. Bluffant !
    Racines est à la BD ce qu'Americanah de Chimamandah Ngozie Adichie est au roman.

    Zablo Le 05/11/2024 à 07:54:20

    Lou Lubie fait coup double cet automne, en remportant les prix Télégramme (Brest en bulles) et Ouest France (Quai des Bulles)...

    Deux journaux à la fois concurrents et similaires, dans leur parisianisme bourgeois (qu'est-ce qu'ils ont de breton ?). Il n'empêche que la BD, qui a été primée sous leurs noms, est très positive.

    La bibliothécaire me l’a gentiment fait passer sur ma carte, après m’avoir mis l’eau à la bouche et alors qu’il était multiplement réservé... Merci à elle.

    Pourtant, je ne partais pas conquis sur ce genre de BD, que ce soit à cause de son trait ou du statut d’influenceuse de Lou Lubie, son autrice.

    Mais, d’emblée, je dois avouer que la couverture de la BD m'a attirée... Pas pour sa nudité - ça n'émoustille que les ayatollahs - mais parce que c’est un bel objet, tout en relief... On a envie de la toucher et de la prendre dans nos mains.

    Ensuite, si les dessins me rebutaient un peu au départ, j'ai vite changé d'avis à la lecture... Lou Lubie a son style, créole et féminin. Ses dessins sont clairs et accessibles. Cela sert bien son propos didactique, vulgarisateur.

    Surtout, la mise en scène est parfaite, avec un grand sens de la narration. Ce qui n’efface pas non plus un plan (il n’y a pas de chapitre) digne d’un blog (c’est un peu fourre-tout). Mais ça reste très fluide.

    Enfin, le propos de Lou Lubie est d’une formidable densité. C’est parfois émouvant et elle est parvenue à me passionner avec son histoire de tifs, qu’elle relie aussi à ses origines, à l’Histoire de la Réunion. Le titre est donc particulièrement bien trouvé et j'ai apprécié les passages dans sa langue maternelle, le créole.

    Son ton est assez neutre, plutôt juste dans l’ensemble, quoiqu’elle peut parfois s’enflammer un peu je trouve, obnubilée qu’elle est par le cheveu crépu (exemple : pour moi Sibeth N’Diaye est plus une parvenue de la Macronie, qu’une figure importante du féminisme...).

    Mais, dans l’ensemble, j’ai lu cette BD avec beaucoup d’intérêt, alors qu’elle était relativement loin de mes centres d’intérêt justement.

    Un petit miracle... J'espère que le tome 2 fera repousser les cheveux des hommes, parfois pauvres en la matière...

    gregory tarmoul Le 26/06/2024 à 08:49:00

    Très bonne BD qui met en exergue un réel problème que peuvent vivre certaines adolescentes. Le dessin est très classique mais avec de très belles couleurs !

    Au Fil des Plumes Le 01/06/2024 à 14:34:00

    Rose a des origines réunionnaises qui lui ont laissé en héritage de magnifiques cheveux crêpus. Mais Rose n'est pas du tout de cet avis. Pour elle, sa chevelure est un fardeau, une malédiction qui est cause de tous ses maux.
    A travers le regard de Rose, Lou Lubie se penche sur un problème de société réel: la norme dans le monde capillaire. Elle décortique l'histoire, s'appuie sur des études et des faits pour dénoncer cette discrimination.
    En nous narrant le parcours d'acceptation de Rose, elle dénonce le long chemin qu'il reste à faire dans notre société.
    Le scénario m'a ouvert les yeux sur ce vrai problème. L'histoire de Rose a été comme une prise de conscience, une vraie gifle.
    Pour accompagner ce récit fort en émotions, Lou Lubie a opté pour une esthétiques aux traits sûrs et aux couleurs chatoyantes.
    Les moments qui se basent sur des faits historiques ont une autre teinte, ce qui permet de bien les distinguer. Le dessin est vraiment au service du propos et l'ensemble donne une BD émouvante mais aussi percutante. Lou Lubie nous livre un vrai message. Une BD à mettre entre toutes les mains.