I
l est des auteurs japonais dont seulement quelques titres parviennent à franchir les frontières de l'espace francophone. Parfois noyés dans la masse des sorties, leurs ouvrages marquent toutefois les amateurs de bande dessinées, tant leurs styles graphiques et leurs ambiances sont frappantes. C'est le cas d'Hisae Iwaoka. Aussi, la direction de la nouvelle collection Le Renard Doré, chez Rue de Sèvres, a eu le nez fin en proposant le premier tome d'une courte série (en cinq tomes) sortie en 2009 : La forêt magique de Hoshigahara.
"Au numéro 29 de la première circonscription de la ville de Hoshigahara se trouve une forêt à l'abandon, entourée par un mur d'enceinte décrépit". Ce lieu atypique sert de refuge à Sôchi. Ce jeune homme doux et avenant y vit en pleine quiétude accompagné d'esprits qui l'y ont rejoint. Le hasard fait que différents protagonistes, animaux comme humains, vont pénétrer dans ces bois. Ils ont tous un point commun : la vie les a blessés.
Avec cette série, la mangaka prouve la force de son style. Le récit est captivant dès le premier chapitre. Bien que celui-ci serve à planter le décor, cela est fait avec justesse, en suivant l'arrivée d'un nouveau protagoniste. Avec lui, les lecteurs découvrent les lieux et rencontrent le trio des personnages principaux. L'histoire dévoile des éléments du passé de Sôchi et de sa mystérieuse carte à tamponner, mais aussi sur la petite Mu, un esprit inséparable du jeune homme. Dès qu'il y a une information, c'est l'esprit de la bibliothèque qui intervient. Loin d'être monocorde, ce tome a le mérite de proposer des moments de montée en tension et d'action au service de l'intrigue générale, qui est loin d'être "mignonne". La scénariste opte pour un récit empreint de fantastique. En levant de temps à autres le voile sur le vécu des personnages, il devient clair qu'ils ont fait des choix et qu'ils doivent en payer le prix. Ce thème était déjà présent dans les autres titres d'Iwoaka, tout comme le fait que les protagonistes soient cabossés par l'existence. Ils en deviennent d'autant plus crédibles, attachants. La mangaka ajoute le thème du respect, en particulier vis-à-vis de la nature et des formes de vie animales. Là encore, le propos sonne juste, sans jugement ni préjugés, bien au contraire.
Dès l'ouverture du tome, les bédéphiles sont immergés dans l'ambiance puisque l'ouvrage débute avec une planche illustrant l'orée de la forêt. Sans explications, ni bulles, l'invitation à découvrir les lieux est lancée. Et à la double page suivante, les lecteurs déjà happés, l'histoire peu débuter. L'introduction graphique donne le ton de toute la série. Même si le cadre géographique est posé par la suite, les otakus sont saisis par une ambiance harmonieuse qui les entraine hors du temps et de l'espace à la faveur du travail immense fourni sur les décors, minutieux et précis, que cela soit pour les espaces naturels ou bien la maison de Sôchi. Le trait en rondeur contribue à la douceur ambiante. De fait, un grand nombre de personnages apparaissent sympathiques, y compris dans les rangs des esprits malfaisants. De plus, l'autrice adapte son style en fonction de la nature des protagonistes, anthropomorphisant légèrement les animaux comme Jo le coq, mais aussi les objets. Par exemple, la double porte d’entrée de l'habitation nichée au cœur des bois est représentée sous la forme de deux majordomes joviaux et rondouillards.
Ce premier tome de La forêt magique de Hoshigahara est une réussite. Hisae Iwaoka entraîne les lecteurs dans un univers hors du temps, qui devient une ode à la nature et au respect, teintée d'une douceur mélancolique superbement mise en images.
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