V
ierges - La folle histoire de la virginité s’ouvre sur un récit autobiographique. Élise, la narratrice, remonte le cours des années et fixe les moments auxquels elle fut confrontée à un concept inconnu, celui de la virginité. Celui-ci s’appliquant aussi bien à une terre, un signe astrologique, à l’huile d’olive ou à une personne n’ayant jamais eu de relations sexuelles, il suscite plus d’interrogations que d’éclaircissements. Et quid de Jeanne la Pucelle, de la Sainte Vierge, avec des majuscules ? Dans ce brouillard sémantique, l’enfant perçoit que la chasteté peut incarner un refuge, une liberté ou un asservissement. Surgit inévitablement la double prise de conscience des jeunes filles qu’elles sont vierges et qu’un jour elles ne le seront plus. Commence alors le chemin de croix de l’adolescente, bien décidée à perdre un jour cette innocence, afin d’éviter moqueries et humiliations, parcours pavé de termes épars et de pratiques nouvelles : premiers baisers, caresses, masturbation, orgasme, règles, tampons. L’esprit et l’affect assaillis par ces scories résument le tout par la peur et la conviction que cette perte qui semble inévitable se tient bien loin du plaisir.
La journaliste, chargée de communication, signaléticienne, professeure et écrivaine Élise Thiébaut, pour sa première incursion dans le neuvième art, propose une fresque d’un des thèmes les plus universels qui soient. Le problème est d’abord ressenti et commenté par le prisme d’une fillette, ancrée dans son quotidien (famille, copines, psyché) ; il est ensuite développé dans un propos plus ambitieux. L’autrice énumère et analyse les incarnations, les significations et les pratiques culturelles qui font l’histoire contrastée, parfois drôle, mais souvent tragique, de cette idée. Le mythe de l’hymen y est battu en brèche, à coup d’arguments scientifiques solides, démontrant par la même occasion que la virginité est surtout une idée ou une représentation, à défaut d’être toujours une réalité physiologique. Le constat est cependant que la valeur ou l’honneur d’une femme y a été (ou y est toujours) rattaché et que d’autres préceptes l’ont utilisée. Citons, par exemple, la monogamie, la fidélité, l’exclusivité, l’identité indiscutable du géniteur. Le rôle actif des religions y est également explicité.
Le risque de tomber dans un discours moralisant et un militantisme féministe pesant était important. L’écueil est évité par un humour omniprésent, intelligent et à-propos, qui offre une mise à distance savamment dosée. Par ailleurs, le graphisme d’Elléa Bird (Molière, Se jeter à l’eau), élégant, harmonieux, délicat, aux motifs floraux déclinés à l’envi, donne une véritable légèreté au contenu, croquant avec simplicité les tourments induits par cette préoccupation séculaire. La réflexion sur l’enjeu culturel de la virginité n’est pas épuisée, même si une fameuse citation d’Irina Dunn donne une piste : « une femme sans homme est comme un poisson sans bicyclette ». À méditer par tous, le sourire en coin, mais l’examen de conscience en embuscade.
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