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oixante ans, c’est trois fois vingt printemps, sans compter qu'aujourd'hui, la soixantaine est la nouvelle quarantaine. Rien à faire, sa femme a beau le rassurer, Ernesto sait qu’il a franchi un cap fatidique. De plus, il a pris le temps de réfléchir et estime qu’il lui reste vingt ans, au maximum, d’indépendance et de santé (avec de la chance). Alors, il s’inquiète et gamberge pas mal. Prendre du recul, voilà ce qu’il faut faire. Avec un peu de distance, il y verra certainement mieux et ça lui permettra de distinguer ce qui est vraiment important. C’est ce qu’il va faire, un petit voyage, en solo, histoire de se retrouver. Après, il saura comment aborder la suite.
Bartolomé Seguí réactive Ernesto, Lola et leurs amis, quarante ans après leur création. Ces héros créés dans les années quatre-vingt de la Movida ont, comme leur auteur, pris de la bouteille et ont désormais les cheveux gris . Chronique douce amère en mode auto-bio-fictionnelle, Boomers rassemble les interrogations habituelles de ceux qui entament la deuxième partie de leur existence. Où est donc passé le temps ? Me suis-je réalisé ? Concentrons-nous maintenant sur ce qui en vaut la peine. Ces considérations sont évidemment pimentées par les préoccupations du moment (le tout-numérique, la génération suivante qui rue dans les brancards, l’évolution des mœurs, etc.). Il en résulte une série de petites saynètes où les protagonistes discutent de l’âge de leurs artères, explorent tous les sujets (ah, la sexualité apaisée !) et tentent tant bien que mal d’accepter leur sort (de toute façon, il n’y a pas le choix). Ils sont franchement sympathiques ces sexagénaires ! Et loin d’être largués par ce monde qui n’attend personne. Si certains semblent plus vieux jeu, c’est simplement qu’ils ont besoin d’un plus grand délai pour s’approprier les derniers outils techno ou les dernières tendances. De toute façon, il est aussi permis de laisser passer le TGV et de choisir l’omnibus, ça permet de mieux voir le paysage et tant que le trafic n’est pas obstrué, ça n’empêche pas Terre de continuer sa course.
Être bien entouré, garder un minimum d’activité physique et cérébrale, la recette ne s’avère pas si compliquée. Sous couvert de bande de potes, Bartolomé Seguí fait le tour du sujet d’une manière agréable et légère, sans rien cacher des doutes qui habitent ses personnages et sûrement lui-même. Une jolie lecture remettant les pendules à l’heure, à défaut de pouvoir empêcher les aiguilles de tourner.
Être jeune, ce n'est pas le meilleur. Le meilleur, c'est repenser des années plus tard à quand nous étions jeunes. Je trouve que cette citation qui est cité dans la préface résume assez bien cette BD sur ce couple d'une soixantaine d'année qui vieillit bien ensemble accompagné d'ami du même âge sur l'île de Majorque.
Bref, on va un peu déprimé au début sur les ravages de l'âge notamment chez les femmes. Il faut dire que le principal protagoniste fait sa crise de la soixantaine.
Par la suite, on va un peu plus en rigoler et cela sera plus léger avec une acceptation de cette condition humaine auquel nul n'échappe à moins de mourir jeune d'un accident.
J'ai bien aimé un passage où l'un des convives indique qui indique que plus on vieillit, plus on se radicalise. J'ai surtout appris ce qu'étais le principe d'overton qui consiste à rendre acceptable certaines idées dans l’opinion publique qui est ainsi manipulée. On peut taxer la gauche ou la droite de radicale pour faire passer leur discours et offrir une autre alternative pourtant tout aussi valable. Bref, soit on est un gauchiste radical, soit on est un fasciste. Pratique...
Bref, cette BD ne manque pas de mordant par certaines de ses réflexions au détour d'une case. J'ai bien aimé dans l'ensemble d'autant que le dessin fait dans la simplicité et la lisibilité qui rend la lecture assez agréable.
À la veille de ses soixante ans, Ernesto ressent le besoin de faire le point sur le sens de sa vie, sur le temps qui a passé et l’emmène à une nouvelle étape de son existence où il s’agit de maximiser le sentiment de plénitude et d’accomplissement pour les années qui restent. Pour cela il faut devenir philosophe et pouvoir lâcher prise face à ce qu’on ne pourra définitivement plus changer. Désormais quelles vont être les priorités ?
Pour ce nécessaire ressourcement, Ernesto délaisse momentanément la femme avec laquelle il partage son quotidien depuis trois décennies et met le cap sur l’Irlande. Il y retrouverait, croit-il, de beaux souvenirs de voyages datant de sa jeunesse. Mais sur place, tout semble effacé sous une pluie battante on ne peut plus symbolique. Il se remémore alors les derniers échanges sur l’âge partagés avec son groupe d’amis soudé depuis leur jeunesse. Il médite sur la douceur de son vieux couple confronté à l’usure du temps, et rentrera rassuré à Barcelone, sa ville, à la fin de l’album.
« Boomers » est un récit autobiographique de l’auteur et dessinateur espagnol Bartolomé Segui qui n’en est pas à son coup d’essai dans le genre « chroniques du quotidien », et dont malheureusement peu d’ouvrages ont été traduits et publiés en français. Il aurait été souhaitable d’avoir au-moins accès à son récit « Lola y Ernesto » racontant la rencontre et le début du couple que nous retrouvons quelques décennies plus tard dans ce « Boomers ». Les amis de longue date partagent donc leurs réflexions allant des plus vastes, comme l’état du monde ou l’influence des nouvelles technologies auxquelles ils ont dû s’adapter, aux plus intimes comme la baisse de la libido, en passant par des projections rassurantes comme l’idée de se réunir en habitat groupé. La maladie, la mort, ce qu’il reste des parents défunts, les enfants devenus adultes… tout y passe.
Du côté dessin c’est impeccable, le trait est élégant, les décors et les ambiances séduisent, les pages sont aérées et très lisibles. Au niveau du scénario je reste sur ma faim. On assiste à une succession de scènes qui ne sont pas forcément reliées, très statiques autour des conversations entre amis ou dans le rapport tendre et pinçant du couple. Il manque une histoire, un fil par lequel on suivrait et sentirait plus profondément la métamorphose du personnage. Du coup tous ces sujets universels liés à l’âge mûr ont l’air de n’être abordés que superficiellement. Dommage car la scène d’ouverture où le personnage cherche à prendre de la distance, au propre comme au figuré, en se rendant en solitaire en Irlande était très prometteuse. L’album intéressera néanmoins tous les amateurs de chroniques douces-amères, même s’ils sont plus jeunes que les protagonistes.