L
ibussa aurait pu être reine ; sa sœur, Téta, le sera. En ce début de IX e siècle, la Bohème va devoir abjurer dans la douleur ses dieux et succomber devant ces évangélisateurs venus de l’Ouest avec une épée en guise de goupillon. Alors si les soldats sont las de se battre, il incombe désormais à leurs filles et épouses de défendre leur terre…
Dernier album de Guillermo Gonzalez Escalada, La guerre des Amazones offre une autre version de ces femmes autant idéalisées qu’érotisée ! Exit Achille et les Scythes, Stéphane Piatzszek situe son récit en 805 au moment où la Bohème est envahie par les armées de Karl, fils de Charlemagne. L’Histoire, en ces périodes, était fragmentaire et rien n’interdit à quiconque veut faire preuve d’imagination de s’emparer de certains recoins demeurés dans l’ombre pour quelques récits parallèles. Avec cette fiction, il est question de ces femmes qui, lorsqu’elles se battent, sont l’égal des hommes. Dures au mal et plus massives que lascives, elles ne seront malheureusement qu’une parenthèse vite effacée par une engeance empourprée. L’épisode est ici bref puisque la romance de Libussa et de Vlasta ne durera qu’un hiver, mais elle n’en demeure pas moins intense : en cinquante-deux planches tout est dit en matière de traitrise, d’amour ou de prosélytisme et d’une manière qui sait sortir des sentiers battus. Alors, la couleur au numérique s’avère peut-être trop lisse pour accentuer l’expressivité des visages comme l’âpreté de l’époque… mais, cela n’altère cependant en rien la qualité d’un album qui se lit d’un trait, au point de presque faire regretter une fin par trop abrupte. Quoi qu’il en soit, Guillermo Gonzalez Escalada n’aurait pu poursuivre l’aventure ; alors, il est préférable que les choses s’arrêtent ainsi !
Sachant éviter les écueils et s'éloigner quelque peu des clichés, La guerre des Amazones offre une vision différente des légendaires guerrières et la rigueur historique dût-elle en souffrir, il est bien qu'il en soit ainsi !
Triste album qui nous vient en ce début janvier. Il y a presque dix ans sortait un miracle, Le chevalier à la licorne, du même duo, qui faisait exploser le talent brut de l’espagnol Guillermo Gonzalez Escalada dans un sublime et tragique poème graphique médiéval. Malheureusement l’annonce de ce second album s’accompagna rapidement de celle du décès de l’artiste en 2021. Seules quelques pages manquaient sur le scénario de Stephane Piatzszek, que deux dessinateur complétèrent dans le respect du style original.
Les histoires païennes sont légion. Le titre pouvait être trompeur et si l’album se centre bien sur l’itinéraire de la princesse Libussa, figure légendaire du peuple tchèque que l’on rattache à une armée de résistantes amazones, c’est plutôt l’histoire d’amour de cette héritière farouche avec une de ses guerrières alors que le danger qui menace son peuple est immense, qui intéresse le scénariste. Malheureusement le récit est incertain, comme si l’auteur n’avais su où mettre la focale et surtout par abus de suggestion. Il y a peu de textes et l’enchaînement des séquences n’est guère expliqué, ce qui rend la lecture par moment confuse.
Le dessin de son comparse est toujours aussi brillant mais l’aspect fruste de ses visages médiévaux n’aide pas à la compréhension en rendant parfois peu lisible la distinction entre ces personnages. Le style de Guillermo Gonzalez Escalada, si fort dans l’action et les visions oniriques, ne compense pas le manque de précision du scénario. De même, les quelques surgissements fantastiques, graphiquement puissants, ne semblent pas servir
l’histoire où la sœur mystique de l’héroïne est totalement muette et trop peu en interaction pour que l’on puisse s’y intéresser vraiment.
Oubliant de nous proposer de belles batailles épiques grand public, tiraillé entre sa Légende, un amour féminin impossible, le devoir dynastique et l’oppression chrétienne sur les anciennes traditions Stephane Piatzszek se contente d’admirer les sublimes compositions du dessinateur espagnol et échoue à nous emporter dans ce drame amoureux mal défini. L’album regorge pourtant de très belles scènes de banquet, de poursuites ou de complots, mais le tout reste mal monté par un récit trop suggestif.
Le duo n’aura donc pas réussi à rééditer le coup de maître de leur premier album. Il restera à admirer l’art si organique du défunt pour regretter, plus que l’album lui-même, la perte d’un très grand artiste.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/02/01/la-guerre-des-amazones/