À un âge indéfini, disons au XIXe siècle, dans un château d’apparence médiévale envahi par les ronces, vivent deux sœurs et leurs enfants. Ils attendent le retour des hommes partis à la chasse depuis plusieurs jours. Craignant que Matilde ne soit victime d’un sacrifice, Teresa l’incite à fuir par la forêt. Mal conseillée par une hirondelle, elle entreprend de traverser un lac dans lequel elle se noie, avant de renaître possédée par l’esprit de l’oiseau. Elle retourne chez elle dans un état catatonique, à l’image du lecteur, un peu sonné au sortir de ce projet littéraire exigeant.
Le récit de Borja González se révèle complexe, les ruptures de ton sont fréquentes et l’ambiguïté omniprésente. La menace apparaît diffuse et la cause des tensions nébuleuses. Le registre linguistique contribue lui aussi à la mystification. La langue, généralement neutre, adopte parfois une forme soignée, mais relève par moments d’un niveau populaire et contemporain quand certains protagonistes se qualifient de cons ou s’invitent à aller se faire foutre. Ces anachronismes surprennent, à l’instar d’un élément de décor remettant en question l’époque à laquelle se déroule l’aventure. Face à ces contresens, l’attitude la plus sage est de se laisser porter et d’attendre les réponses ; certaines viendront, d’autres pas.
Si la narration se montre déconcertante, le dessin l’est davantage. Les personnages, ressemblant à des esquisses, sont dépourvus de visages. Ce choix graphique ne facilite pas l’identification des acteurs, même s’ils sont peu nombreux.
Le projet évoque dans son ensemble un vaste puzzle avec ses motifs intrigants ; certains ont des allures de leitmotiv, par exemple un cercle bleu, au premier abord banal, quoique fréquemment mis en évidence. Il finit par prendre son sens en fin d’album, invitant du coup le lecteur à reconsidérer la place de cette forme dans l’ensemble. Il en va de même pour une planche reprise presque à l’identique, mais qui embrasse une signification tout à fait différente.
Et ce n’est pas tout, en postface l’auteur explique que le propos de ce livre est lié à celui de ses œuvres précédentes, Nuit couleur larme et The Black Holes. Au jeu des comparaisons, le bédéphile vigilant découvrira d’ailleurs que certaines cases conversent d’un opus à l’autre.
La composition n’est pas en reste. Le dessinateur construit souvent ses pages en symétrie et certaines vignettes se répondent et conditionnent une double lecture alors que les yeux alternent entre les deux planches.
Affirmer que Bleu à la lumière du jour est sibyllin constitue un euphémisme. Cela dit, l’histoire se lit bien, peut-être même un peu rapidement étant donné la rareté des dialogues et la grande taille des illustrations.
Conte de fées, récit gothique ou roman d’anticipation, ce troisième bouquin de Borja González est unique et fascinant. Un livre à relire pour en apprécier la complexité et pour donner un sens à ce qui n’en avait pas lors du premier passage.
Un album inclassable… de ceux qui attirent ou repoussent, loin des standards du genre. Une BDNI dont l’essence et la raison d’être sont ailleurs, dans le voyage auquel elle invite, dans les interrogations qu’elle suscite !
Graphiquement construit et plus qu’aboutit, le récit interroge et ne livre quelques clefs qu’à ceux qui arrivent en s’en extraire, mais l’importante est-il dans l’histoire racontée où dans celle que l’on s'imagine ?