D
epuis toujours, la vie sur la planète O’Zhinn a été rythmée par la migration des géants. Régulièrement, ces créatures fantastiques se réveillent, pour ensuite se diriger vers les terres sacrées du Nord. Au fil des siècles, les hommes, apeurés et agacés par les dégâts provoqués par ces cycles, commencèrent à les décimer. Peu à peu, leurs apparitions devinrent de plus en plus rares. Finalement, ces colosses sont tombés dans l’oubli et devenus légendes. Seule la vieille Odette continue à s’intéresser à ces Grands Migrateurs. Puis, un jour, le dernier de ces titans se redresse, attirant la fureur des chasseurs et l’ultime espoir, selon Odette, de ramener l’équilibre dans les forces de la nature.
Un univers «heroic-fantasy» suivant les règles de l’art, des monstres mythiques reliés à l’écosystème global, des luttes pour le pouvoir et une brochette de héros alternatifs, présenté tel quel le programme du Grand migrateur sent passablement le réchauffé et le déjà-vu/lu. Évidemment, depuis Beowulf et, surtout, Le seigneur des Anneaux, c’est à peu près le cas pour toutes les histoires de ce genre. Cela dit, force de constater que le scénario d’Augustin Lebon fonctionne parfaitement, aussi bien sur le fond que sur la forme. Son monde est cohérent et intelligemment imaginé, tandis que les dialogues sont délicieusement décalés ; les accroches avec notre société s’avèrent nombreuses et la distribution mémorable, la formidable Odette en premier lieu. Seul un manque de place palpable se fait sentir. Soixante-deux pages pour caser tous ces éléments, c’est très peu, sans doute pas assez. La narration est compressée et plusieurs ellipses forcées et peu naturelles semblent n’être là que dans l’unique but de finir le récit en un seul volume. C’est d’autant plus dommage, que le rythme, l’ambiance et les rebondissements sont au rendez-vous.
Visuellement, Louise Joor déploie son talent quelque part entre Hayao Miyazaki (beaucoup) et Régis Loisel (un petit peu). Là aussi, l’amateur d’épique et de poésie sait à quoi s’en tenir. Faune et flore joliment croquées, un réel sens de l’espace, la dessinatrice rend une copie très claire et très nette. L’encrage, filiforme et sans variation, manque cependant de nervosité, particulièrement dans les moments cruciaux. Rien de très grave, mais l’énergie durant les scènes d’action pure peine à exploser au visage du lecteur. La mise en couleurs osant le pari du pastel est également très propre et mesurée.
En résumé, verre à moitié plein avec une saga finie sans à suivre agaçant et verre à moitié vide, à cause des zones d’ombre laissées de côté et un emballement artificiel nécessaire pour clore tous les fils narratifs. Au final, classique, mais doté d’une identité indéniable, Le grand migrateur possède toutes les qualités pour plaire aux connaisseurs de quête en territoire hostiles et merveilleux.
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