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rillante étudiante en sciences, April O’Neil a réussi à décrocher un stage au sein d'un laboratoire particulièrement en vue, dans lequel elle espère en apprendre davantage en matière de bio-ingénierie du bétail. Mais StockGen semble avoir des activités bien plus… variées. La jeune femme va ainsi rapidement comprendre qu’il vaut mieux s’abstenir de poser trop de questions sur certaines des expériences qui sont menées par cette société dirigée par Baxter Stockman. Parmi les cobayes figurent un rat, Splinter, et quatre tortues pour lesquelles April se prend d’affection. S’en occupant quotidiennement, elle leur a donné à chacun un nom inspiré par les artistes de la Renaissance italienne : Leonardo, Donatello, Michelangelo et Raphaël.
C’était une sortie particulièrement attendue au rayon comics en 2023 : l’intégrale des Tortues Ninja est arrivée dans les bacs. Figures incontournables dans l’univers de la pop-culture, ces reptiles mutants sont archi-identifiés. Leur histoire est, en revanche, assez peu connue par rapport à celles d’autres super-héros, des maisons Marvel ou DC Comics par exemple. La sortie de ce titre est donc une bonne occasion pour un petit coup d’œil dans le rétroviseur.
Tout débute en 1983. Kevin Eastman et Peter Laird essayent tous deux, depuis quelques temps, de se faire une place dans l’industrie des comics. Leur vient l’idée d’un concept autour de tortues mutantes, à mi-chemin entre hommage et parodie des publications de superhéros comme les X-men ou Daredevil. Quelques mois plus tard, les deux compères éditent eux-mêmes leur œuvre en fondant Mirage Studios. La démarche est initialement très artisanale, mais le succès arrive rapidement et les choses deviennent de plus en plus sérieuses. Les auteurs continuent à piocher des inspirations de-ci de-là dans les travaux de leurs prédécesseurs tout en construisant, petit à petit, un univers complexe et totalement original en développant la psychologie des différents héros et de leurs antagonistes. En quelques temps, le projet passe du simple comic book (Teenage Mutant Nnja Turtles, abrégé TMNT) à la véritable franchise avec l’arrivée, notamment, du premier dessin animé en 1987 qui achèvera d’asseoir la popularisation des personnages. Plusieurs séries télévisées vont alors se succéder (1997, 2003, etc.) et, avec elles, plusieurs générations de téléspectateurs vont émerger aux États-Unis comme en Europe. L’aventure de la bande dessinée se poursuit en parallèle. Pourtant, avec l’éloignement progressif des deux cocréateurs dans le courant des années 1990, la publication devient plus confidentielle, moins « grand public ».
L’année 2011 marque un tournant majeur dans l’histoire des Tortues sur papier avec le rachat de la licence par IDW. Tom Waltz prend alors les commandes du scénario d’un reboot de la série accompagné par Eastman himself : une réécriture en profondeur, depuis les origines, de toute la mythologie des personnages. Au cours de ce run qui a duré jusqu’en 2019 pour cent épisodes, plusieurs artistes se sont succédé pour assurer la partie graphique : Dan Ducan (qui officie sur les premiers chapitres), Mateus Santolouco ou encore, pour n’en citer que quelques-uns, Sophie-Campbell qui a pris seule la suite de la série à compter du numéro 101.
C’est cette histoire qui paraît aujourd’hui au sein de cette nouvelle intégrale. Cette série régulière n’est pas inédite en France. Dès 2012, les éditions Soleil avaient tenté de la proposer au public hexagonal. La publication était toutefois interrompue après quatre tomes. Il faudra attendre 2018 pour que les héros à carapace soient de nouveau proposés, cette fois par HiComics. Tous les tomes issus du travail de Tom Waltz sont parus en album cartonné (le vingtième et dernier opus étant sorti en mars 2023). Non sans mal. Car la route fut semée d’embûches et les lecteurs relativement peu nombreux. Si une intégrale est désormais proposée, sous une autre forme, c’est en partie pour tenter de rectifier ce double rendez-vous manqué. Et pour ce faire, l’éditeur a sorti les grands moyens.
Côté fabrication, c’est une reliure intégra qui a été privilégiée et le résultat est de qualité en alliant souplesse de la couverture et une solidité indispensable pour un album de plus de quatre cents pages. La couverture, qui arbore un gros plan sur Raphaël, est également agréable avec un verni sélectif et un joli gaufrage. Seul petit bémol (pour chipoter), le choix d’un papier légèrement glacé (et les reflets qui vont avec) pas vraiment nécessaire.
Côté contenu, ce premier tome de l’intégrale rassemble les douze premiers chapitres, tous dessinés par Dan Ducan. Tom Waltz y déploie la galerie habituelle des rôles de la série (Maître Splinter, Shredder, Casey, O’Neil, Krang, etc.) en donnant sa propre version de leur naissance, à la fois fidèle à plusieurs jalons du comic book initial et très personnelle. Plusieurs inconnu-e-s font également leur entrée, à l’image d’Old Hob, un chat mutant borgne et d’Alopex, une renarde polaire. Bien sûr, le scénariste offre aux nostalgiques une plongée dans leurs souvenirs. Il ne se ne se contente cependant pas de cela et bâtit une intrigue extrêmement solide dont tous les fondements sont posés. Alternant avec brio des scènes d’action et de combat au rythme effréné et des séquences plus lentes dans l’intimité des personnages, l’histoire tient en haleine autant qu’elle invite à des réflexions plus profondes, en particulier sur la question de la transmission.
L’ouvrage intègre également plusieurs épisodes parus en marge de la série régulière qui sont soit inédits en France (c’est le cas de A lot to learn), soit parus sous forme de recueils ou floppys gratuits. C’est le principal apport de ce nouveau format qui insère ces chapitres (qui approfondissent certaines zones d’ombre sans être indispensables à la compréhension des évènements) à leur place chronologique.
Après le succès de The Last Ronin (un one-shot hors continuité également de Waltz) en 2022, voici les Tortues Ninja de nouveau à la une en librairie… mais également dans les salles obscures puisque le dernier film d’animation Ninja Turtles : Teenage years sort au cinéma en août. Une « tortues-mania » ? Peut-être pas. Mais il y a en tout cas de quoi espérer la renaissance d’un engouement autour de ces super-héros pas tout à fait comme les autres. Ils le méritent amplement. Cowabunga !
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