U
n bateau accoste au port de Pozzallo. Les pompiers doivent intervenir pour accéder à la cale, d'où ils extraient une quarantaine de corps de "migrants", comme on les nomme désormais. Des hommes, des femmes et des enfants qui ont tout quitté pour tenter leur chance en Europe. Malgré les risques, ils et elles se sont embarqué-e-s pour un voyage sans retour. De telles scènes se succèdent de manière tragiquement régulière, pour ne pas dire banale. Parce que rien ne l'est moins que de devoir s'occuper de centaines de dépouilles anonymes, mais qui ont pourtant une histoire, une famille...un nom autre que le code indiqué sur leur sépulture en attendant une hypothétique identification.
Voici le contenu du premier récit qui compose ce recueil de cinq articles publiés par Taina Tervonen et Jeff Pourquié dans La Revue Dessinée entre 2015 et 2021.
Chacun explore la thématique de l'exil depuis une perspective singulière. Après les morts qui aboutissent sur les plages italiennes ou grecques, il est question de la fuite en avant de Frontex, fer de lance de la création de la "forteresse-Europe", finançant grassement l'industrie de l'armement pour proposer des technologies de surveillance qui ne font que déplacer les routes de migration vers des zones de plus en plus dangereuse. Le reportage suivant explique comment l'Europe externalise ses frontières, les repoussant jusqu'en Afrique, dans le désert du Niger. L'aide au développement est désormais partiellement consacrée à la formation des agents douaniers et la mise en place de points de contrôle de plus en plus précoces pour décourager les traversées.
Dans le même temps, au Sénégal et en Gambie, l'attribution de concessions de pêche à de gros chalutiers industriels européens et chinois précipite les pêcheurs locaux dans la précarité. Pour ces derniers, les deux principales portes de sortie sont l'exil vers l'Europe ou la reconversion dans l'activité de passeurs, se lançant dans de périlleux périples vers les Canaries.
Pour ceux qui arrivent à destination, c'est le règne de la débrouille et de l'exploitation. Ils travaillent dans l'aide aux personnes, dans la construction, la restauration ou encore les entreprises de nettoyage Ils sont sous-payés ou bénéficient de contrats de travail en règle par le biais d'"alias", des personnes qui leur prêtent leur identité en échange d'un pourcentage de leur salaire. Ils sont invisibles. Pourtant ils sont là. Ils font tourner l'économie. Ils peuvent tenter de se faire régulariser, mais au risque de perdre leur emploi parce qu'ils deviennent moins avantageux économiquement.
A chaque fois, le rapport de forces est le même. Le fort exploite le faible. Il tente de le tenir à distance, quitte à rendre le condamner à un danger de plus en plus grand. Les choix politiques ne font qu'aggraver la situation et, paradoxalement, rendre l'exil toujours plus attractif.
Cette plongée dans une réalité souvent mal comprise ou caricaturée se révèle particulièrement édifiante et propose une vision d'ensemble rarement proposée.
Je vais vous avouer que c'est une lecture qui forcément nous met mal à l'aise. En effet, le postulat de base de cette œuvre pose une question à savoir « à qui profite l'exil ? Eh ben, la réponse, c'est nous qui sommes responsable car on pille les côtés de l'Afrique et qu'on devrait ouvrir sans broncher grand les portes de nos frontières pour accueillir toute la misère du monde que l'on pourrait d'ailleurs qualifier idéologiquement de « chances » pour notre pays.
Soit on est d'accord avec cette vision des choses et alors, on est du bon côté de l'humanité, soit on ne l'est pas et on peut très vite être taxé de tous les maux possibles. Pour moi, le constat est pourtant clair et simple que la population européenne ne veut plus, dans son immense majorité, entendre parler d'immigration et que si cela continue, on pourrait même aller droit vers une guerre civile avec des gouvernements extrémistes au pouvoir.
Maintenant, c'est vrai que l'auteure Taina Tervonen qui a été récompensé par un prix journalistique européen a mené une enquête assez intéressante pour mettre en lumière ces profiteurs que sont tout d'abord les passeurs, mais également les industriels de la défense chargé de protéger nos frontières ainsi que les patrons et autres industriels qui emploient au noir dans nos commerces et nos bâtiments des clandestins.
L'auteure joue tout d'abord sur l'émotion avec ces drames en mer Méditerranée de gens qui meurent noyer pour avoir simplement voulu gagner un pied en Europe afin d'y travailler et d'envoyer de l'argent dans leur famille restée au pays. Je ne suis plus vraiment certain que les européens soient touchés dans leurs âmes par ces drames qui se multiplient. Je crois savoir qu'ils sont un peu plus sensibles quand il y a des drames de violence qui touchent nos enfants dans des fêtes de village.
Un exil, pour moi, c'est un habitant qui quitte son pays soit parce qu'il y a la guerre, les pénuries et la famine. Quand il va dans un pays riche, cela lui profite tout d'abord car il est alors sorti d'affaire. Non, l'auteur ne voit pas cela ainsi mais nous désigne comme responsable car nous aimons la consommation.
Oui, l'exil serait une manne financière dont nous profitons par ricochet à travers les services et les biens de consommation. Quand on achète notre baguette, c'est peut-être un malien payé au noir qui la fabrique durant la nuit. C'est bien nous qui consommons la baguette grâce à ce malien. C'est, en tous les cas, la démonstration de l'auteure.
Je sais que l'immigration entraîne des débats passionnés et je n'ai guère envie d'engager le moindre débat sur ce sujet brûlant. J'ai lu cette BD. Elle dicte des vérités et un constat assez alarmant. Cependant, il y a des réflexions qui m'interrogent réellement. Les solutions ne sont pas aussi simples que cela.