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Les veilleurs

10/04/2023 3953 visiteurs 9.0/10 (1 note)

L e regard porté sur les handicaps pose encore problème. Leur multitude fait face au mutisme médiatique et aux idées reçues. Pour lutter contre ça, Yann Dégruel décide de consacrer un album entier à son expérience en tant qu'aidant, car malheureusement, seules les personnes concernées au premier chef peuvent trouver les mots justes pour en parler.

Dans ce récit autobiographique, Yann se trouve dans une situation financière difficile, comme de nombreux jeunes auteurs de bandes dessinées. De bouche à oreille, il trouve un travail de veilleur de nuit dans une structure associative s'occupant d'enfants et de jeunes atteints de TSA (trouble du spectre autistique) et de polyhandicap. À leur contact, le personnage principal va découvrir ce monde hors norme avec tout ce qu'il comporte de joies, de peines et d'extraordinaire.

Le dessinateur se livre sans filtre dans ce roman graphique. Il a travaillé dans cette structure de 2016 à 2019. Il en ressort changé, mûri et fatigué. La charge mentale qui pèse sur les aidants et le peu de personnel encadrant est admirablement évoquée. Il n'hésite pas à montrer ses moments de réussite et, surtout, ses épisodes de doutes et d'erreurs. Il interroge également le regard porté par les valides et les bienpensants, lors des scènes où il retrouve ses amis ou ses collègues dessinateurs. D'ailleurs, Yann Dégruel partage un émouvant souvenir d'un passage au festival de la bande dessinée d'Angoulême.

Au cours d'un repas entre professionnels, choqué par de prétendus traits d'humour, il prend la défense des handicapés. Le dimanche, l'un des organisateurs du festival l'en remercie et lui confesse être lui-même parent concerné et qu'il a été touché. Les lecteurs sont amenés à partager le ressenti de l'auteur en permanence, jusqu'à la fin. L'autre point d'intérêt de l'album est qu'il montre l'envers du décor du monde du handicap et du fonctionnement des quelques structures qui existent. Là encore, il témoigne sans faire de concession, en s'appuyant sur son expérience. En témoigne la présentation des formations durant lesquelles les encadrants peuvent parler à bâtons rompus. Par ailleurs, le bédéiste n'hésite pas à dévoiler la précarité du personnel qu'il compare à celle des auteurs.

Le style graphique, bien en rondeur, diffuse une certaine douceur. Son choix de séquençage est pertinent. Les chapitres sont séparés par des planches en noir et blanc accompagnant des explications supplémentaires. Pour le reste, tout le panel possible des dégradés de rouge et de bleu est convoqué, au service des émotions.

Les veilleurs est un témoignage honnête et sans fard de ce qu'est de vivre en accompagnant et en aidant des jeunes atteints de troubles du spectre autistique et de maladies rares. Riche de son expérience, le dessinateur souhaite sensibiliser un large public. Une très belle initiative !

Par J. Vergeraud
Moyenne des chroniqueurs
9.0

Informations sur l'album

Les veilleurs

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L'avis des visiteurs

    Vacom Le 16/06/2024 à 11:41:58

    De l’auteur, je connaissais « Sans famille », belle adaptation destinée à la jeunesse. Le sujet est ici tout autre, avec une plongée dans le monde du handicap. L’entrée dans ce monde particulier est facilitée par le ton de l’histoire, qui reste le plus léger possible, et par un dessin tout en rondeur, accompagné d’une superbe mise en couleurs.

    Le propos est intéressant et présente les personnes handicapées sous un jour bienveillant. À titre personnel, j’aurais probablement préféré que l’auteur s’attarde davantage sur les histoires personnelles des résidents que sur son ressenti, mais c’est un choix qui se respecte et qui a l’avantage de mettre le lecteur lambda dans la position qui est probablement la sienne, c’est-à-dire celle de quelqu’un dont le quotidien est à mille lieues de la réalité décrite.

    Je déplore un peu certains lieux communs dans les textes (genre « donner de l’amour à ceux qui n’en ont pas »), mais bon, le piège du pathos est au fond plutôt bien évité.

    Erik67 Le 03/07/2023 à 07:32:24

    Les précédentes œuvres de Yann Dégruel ne m'avaient guère marqué par le passé. Voici que cette dernière fait exception. Sans doute, l'auteur change totalement de registre pour se mettre en scène dans un roman graphique d'exception. Cela fait toute la différence !

    On apprendra que 36% des auteurs de BD vivent sous le seuil de pauvreté. Certains ont un emploi à côté afin de boucler les fins de mois. Yann Dégruel va se lancer dans le rôle d'un veilleur de nuit dans une maison s'occupant des handicapés les plus graves. Bref, un job qui n'est pas de tout repos où il faut être totalement polyvalent : aide-soignant, psychologue, nettoyeur de surface, animateur...

    Le thème principal se concentre sur ces lieux de vies où l'on essaye de prendre soin des personnes lourdement handicapées. Certes, ce n'est pas facile mais cela offre une certaine expérience de vie tout à fait appréciable. Il est vrai que dans notre société, on n'aime pas parler de la maladie et des handicapés que l'on stigmatise souvent en mongol.

    J'ai bien aimé cependant la critique à peine voilée du milieu des auteurs où l'on se jauge par rapport au niveau de vente d'une BD. Parfois, il vaut mieux ne pas connaître ce genre de détail car on achète des BD à de parfaits connards prétentieux et misogynes. C'est ce que je retiendrais de cette réflexion et des exemples données par notre auteur qui n'est pas avare en détails. Evidemment, il ne balancera pas le nom de ses collègues sur la place publique. Dernièrement, une BD de Nicoby lors d'un passage dévoilait le même genre de spectacle de ce milieu qui fréquente les différents festivals pour se faire de la promotion. Bref, cela se recoupe parfaitement.

    On se rend compte que notre auteur fait dans la vraie vie avec un métier difficile qui le place dans une situation honorable. Pour autant, il ne fera pas l'impasse sur ses nombreux défauts et ses erreurs fréquentes. J'ai beaucoup aimé cette honnêteté qui rend le récit très crédible et absolument touchant surtout vers la fin.

    Oui, j'ai tellement aimé que j'accorde la note maximale certainement emporté par l'émotion d'une telle œuvre qui s'intéresse à des personnes en marge de notre société. C'est un très beau témoignage qu'il faut absolument lire pour tenter de comprendre et avoir une autre vision des choses sur le handicap. En même temps, on se rend compte que l'auteur a subi une véritable transformation et qu'il ne sera plus jamais comme avant. Il y a des expériences qui nous font changer.