L
a rencontre entre Jean Cocteau et Jean Marais tient du coup de foudre. Le dramaturge, ancienne coqueluche de Paris, est devenu la cible d'attaques virulentes des milieux conservateurs qui voient en lui le symbole d'une certaine décadence. Souffrant d'une addiction dévorante à l'opium, il donne le change comme il peut, toujours marqué par la mort de son amant, Raymond Radiguet. L'acteur dévoré d'ambition est subjugué par son aîné, qui le magnifie et l'introduit dans le monde du théâtre, où il peut rencontrer ses idoles. Ils s'aiment (quoique, dans ses mémoires, le jeune homme confessera avoir simplement utilisé l'affection de l'écrivain pour arriver à ses fins), à la fois simplement mais aussi avec toutes les difficultés de la différence d'âge, d'un entourage étrange et parfois toxique et des soubresauts de la société, en train de se transformer en profondeur.
L'antisémitisme est de plus en plus présent. Le spectre de l'extrême droite est de plus en plus lourd et la guerre ne tarde pas à éclater. Mais l'artiste refuse « de se laisser distraire des choses sérieuses par la frivolité dramatique de la guerre ». Il faut la sourde oreille lorsque la censure se fait plus pressante. Il détourne le regard lorsque les persécutions envers les juifs se font plus fortes, allant jusqu'à menacer des amis proches. C'est tout un monde culturel qui tente de survivre en dépit du danger. Ce qui se passe est trop terre à terre pour les concerner. Cette insouciance ne peut qu'être passagère.
Cette évocation de la relation entre l'auteur des (i]Parents terribles et sa muse joue subtilement de la superposition des mondes. La réalité politique est rappelée en permanence par des planches qui évoquent des collages d'actualité, entre extraits d'articles, de discours et vignettes qui, au fil des pages, évoquent de plus en plus la propagande de Vichy. Le sort de l'auteur et de ses semblables y est sans cesse évoqué, faisant ressentir la menace de plus en plus grande et la nécessaire prise de conscience que le monde culturel se refuse à faire. Isabelle Bauthian ressuscite une époque avec beaucoup de subtilité. Elle n'excuse, ni ne condamne les approximations et petits arrangements auxquels furent contraints des hommes et des femmes qui se pensaient hors du tumulte du monde. Maurane Mazars réussit également à retranscrire la vitalité artistique de l'époque, avec un dessin expressif rehaussé par un travail sur les couleurs particulièrement vivantes, ces dernières jouant un rôle à part entière dans le récit. A défaut d'un cours magistral, cette bande dessinée propose une belle évocation d'un microcosme rattrapé par la réalité. Il est parfois difficile de se retrouver dans la foule de personnages réels qui peuplent ses pages et les courtes présentations présentent en fin d'ouvrage se révèlent plus qu'utiles.
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