L
es yeux bridés ne font pas la Chinoise. D’ailleurs, contrairement à ce qu’elle entend trop régulièrement, Vicky ne l’est pas. Elle, ses racines plongent dans la culture d’un autre peuple séculaire, sis dans un territoire rude aux confins de la Chine, du Laos, de la Thaïlande et du Vietnam. Au cours de son histoire mouvementée, cette tribu a connu les invasions, l’oppression, la colonisation, l’exploitation et trop de tentatives d’extermination qui l'ont conduite vers la rébellion, la fuite et la migration. Cultivateurs de pavots pour le compte de plus puissants, force armée auxiliaire pour les Français, puis les États-uniens, ils ont payé cher leurs engagements comme leurs refus d’obtempérer. Ce sont les Hmongs.
Préfacé par Cyril Payen, spécialiste de l’Asie du Sud-Est et auteur du reportage Laos, la guerre oubliée, le premier album de Vicky Lyfoung tient à la fois de la biographie familiale et du documentaire historico-ethnographique. En effet, la bédéiste y raconte non seulement la saga de ses proches ascendants, mais aussi la destinée tourmentée de l’ethnie à laquelle elle appartient et dont elle n’a pas su grand-chose pendant longtemps. Pour narrer ces événements, elle mise sur un ton souvent humoristique et un dessin assez caricatural qui n’excluent en rien la sensibilité et l’à-propos, bien au contraire.
Introduisant son récit par les questions qui ont progressivement émergé par rapport au passé des siens, l’autrice dresse, d'abord, un tableau des Hmongs – également connus sous le vocable « Miaos » -, de leur diversité, de leurs coutumes, de leurs croyances et de leurs mythes. Elle souligne déjà les nombreux conflits les ayant opposés à leurs voisins chinois. Puis, elle revient sur la multitude d’événements qui les a menés à la diaspora et ses parents jusqu’à l’Hexagone.
Remontant à l’époque coloniale, Vicky Lyfoung dépeint les relations entretenues entre sa communauté et l’administration française sur place, ainsi que la place prépondérante que la fabrication d’opium a joué dans la région au fil des décennies. De la « Guerre du Fou » (1917 à 1921) à celle du Vietnam, l’artiste égrène les jalons ayant présidé la destinée de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Elle s’attarde sur quelques figures marquantes, mais également sur les divisions qui ont gangrené son ethnie, en fonction des alliances des uns, des jalousies des autres ou du simple opportunisme de certains. Loin de masquer les horreurs – nombreuses -, le côté rigolo du trait et de l’écriture renforce l’effet sidérant, interpelle et se révèle propice à l’empathie. Les épisodes déchirants de la bataille de Diên Biên Phu, de ses suites, comme de la lutte contre le Viet-Minh et de l’exode de la famille Lyfoung ne laissent pas indifférents. Séparations et deuils sont relatés avec justesse et pudeur, contrebalancés par quelques étincelles d’espoir ou la fierté palpable d’avoir une figure de la résistance pour aïeul. Les pages consacrées à l'installation en France des parents de l'autrice et à l'absence de transmission durant toute son enfance montrent combien le vécu douloureux a affecté ses géniteurs et touché la génération suivante. Toutefois, la vigueur de la communauté hmong actuelle apparaît également.
Sans amoindrir l’importance ni le sérieux du sujet, la partition graphique s’avère percutante. L’expressivité et son exagération, dans une veine qui rappelle le manga Peleliu, servent agréablement la narration et permettent une certaine distanciation. La mise en page est dynamique, les planches découpées en quelques grandes cases alternant les plans avec efficacité et en suggérant plus qu’en montrant ce qui pourrait heurter.
Alliant saga familiale et Histoire, Hmong offre une plongée passionnante dans les réalités passées et actuelles d’un peuple fier, épris de liberté et qui a survécu à bien des vicissitudes. À découvrir !
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