V
ieillir peut être un naufrage, surtout pour les artistes. Souvent, l'esprit paraît de moins en moins affuté et le geste devient hésitant. Il faut alors une certaine indulgence pour accepter que les plus belles œuvres ne sont plus celles à venir. Le dessin perd en fluidité et, parfois, le pire concerne les scénarios et le ton général de ces travaux "de vieillesse". L'impertinent finit par laisser la place au vieux con, comme si le ciel lui était tombé sur la tête. Autant dire qu'aborder de tels albums ne se fait pas sans une certaine appréhension. Serait-ce celui de trop ? Le titre que le lecteur ne pourrait plus considérer avec sympathie et admiration pour celui qui nous a tant fait rêver ? Et si ses qualités étaient désormais trop émoussées pour qu'il ne soit plus possible de se retrancher derrière le souvenir de ses plus belles planches ?
Comment ne pas penser à tout cela en s'attaquant à cette trilogie, réalisée entre 2016 et 2020 (pour ne pas dire septante-cinq et septante-neuf ans), surtout en la considérant comme un véritable testament artistique. Elle parle de la mort, de manière frontale et très intime. Il ne s'agit pas stricto sensu d'une autobiographie, l'auteur de Paracuellos y mettant en scène son alter ego fictionnel, Pablo. Ils partagent la même année de naissance, la même coiffure, une enfance difficile dans les pensions d'Etat, une carrière dans la bande dessinée et un goût prononcé pour les Cuba Libre.
Dès la première case, le récit annonce la couleur. Raùl, le meilleur ami du personnage principal, vient de mourir. Ce n'est pas tout à fait exact. Il vient de finir de mourir. Car il avait une théorie. Un jour, une chrysalide commence à se former autour de vous. Elle vous isole progressivement, vous prive du goût de toute chose, jusqu'à se fermer complètement. Alors, le moment est venu. Ce premier livre, Chrysalide, aborde la position de l'individu dans la société : ses colères, ses idéaux politiques et artistiques, ses doutes... Le deuxième, Un chant de Noël, propose une variation sur le conte de Charles Dickens. Le dernier, C'est aujourd'hui, repose sur un dialogue serein et apaisé de l'auteur avec lui-même. Il sait qu'il est arrivé au bout du chemin.
C'est aujourd'hui.
Le trait est forcément un peu moins alerte, mais l'impertinence et l'intelligence de Carlos Giménez restent intacte. Pour le lecteur, c'est un point final apporté à une fresque sociale et personnelle qui couvre une période allant de la Guerre d'Espagne (Les temps mauvais) jusque maintenant, chef-d'œuvre d'émotion et d'humour. Le travail d'une vie est ainsi achevé.
Vieillir ainsi est un beau voyage.
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