1985, entre Sud de la France et Belgique. Numa Sadoul, épaulé par Liliane et Isabelle, réussit à convaincre André Franquin de réaliser une monographie mêlant parcours de vie et analyse de son œuvre. Faire parler cet immense artiste à l'humilité proverbiale, la gageure n’était pas gagnée d’avance. Même si, au fil du temps, le créateur de Gaston Lagaffe avait été interviewé à maintes reprises (cf. Franquin et les fanzines), il se retranchait souvent derrières les mêmes anecdotes et autres propos marqués d’une modestie devenue légendaire. Là, la situation est différente. Face à lui, se trouve celui qui a fait parler Hergé et qui, de par ses nombreux articles dans la presse spécialisée, s’est bâti la réputation d’être un des plus fins connaisseurs du Neuvième Art. Puis, c’est un ami de la famille depuis des années. Que risque-t-il finalement ? De trop en dire et de décevoir ses innombrables fans ?
Aussitôt dit et aussitôt fait, Et Franquin créa la gaffe paraît début 1986, l’ouvrage se pose immédiatement comme la référence à propos du dessinateur évidemment, mais aussi le modèle du livre d’entretien parfait. Les deux hommes discutent en toute connivence sur deux cents pages gorgées d’une iconographie riche et pertinente. Mais, voilà, rapidement épuisé, le livre n’est pas réédité. Trop d’intimité dévoilée ? Une gêne quasi-maladive de se voir érigé au pinacle de la bande dessinée alors qu’il se sent déclinant ? Indisponible, sauf en y mettant le gros prix, l’ouvrage acquiert alors une aura mythique et, malgré de nombreuses promesses de réimpression, se transforme en une Arlésienne aussi espérée que raillée chez les amateurs.
Novembre 2022, l’attente est terminée ! Et Franquin créa la gaffe est de retour aux éditions Glénat ! Texte légèrement revu et redécoupé pour plus de fluidité, une avalanche d’illustrations et de documents inédits ou rarement vus, il s’agit du même livre simplement mis au goût du jour. Plus axé sur l’échange entre deux copains, le lecteur est invité à suivre une discussion captivante et émouvante mettant en scène un des maîtres de l’école franco-belge, tous éditeurs confondus. Outre une partie biographique, chaque album de sa bibliographie est passé en revue d’une façon détaillée et extraordinaire. Si Franquin ne semble pas garder énormément d’estime pour son travail sur Spirou et Fantasio, il se montre nettement plus dissert et enthousiaste quand Gaston et Les idées noires sont abordés. Chaque gag (à peu près), chaque case presque, sont détaillés, expliqués et remis dans leur contexte. L’homme est réservé à propos de son talent, mais quand il s’agit de parler technique, la donne change du tout au tout. Il devient insatiable, passionné et passionnant à écouter. Résultat, fort de ces innombrables observations et commentaires, l’urgence de relire immédiatement l’intégralité des œuvres franquiniennes se fait plus que pressante.
Ça valait vraiment le coup d’être patient. Grandiose et généreux, Et Franquin créa la gaffe reste la référence. Indispensable.
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