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lison Bechdel vaut bien plus que le test qui porte son nom. On lui doit aussi deux formidables récits autobiographiques : Fun Home et C'est toi ma maman ? qui explorent ses relations compliquées avec ses parents. Avec Le secret de la force surhumaine, elle ajoute un troisième volet à ces "graphics memoirs".
Mais quelle est cette fameuse force surhumaine ? Il s'agit au départ d'une promesse au détour d'un encart dans un magazine. Séduite par l'idée, la petite fille de dix ans achète pour un dollar un petit fascicule mal imprimé et incompréhensible qui ne répond en rien aux attentes de la gamine. Ce sera pourtant l'acte fondateur d'une longue quête. Les années soixante s'achevaient et le rapport au corps commençait à changer fondamentalement. Le sport comme loisir commençait à se développer, surtout à destination des femmes, pour qui l'activité physique était jusqu'alors très peu considérée. Les leçon d'aérobic délivrée par Jane Fonda en collant fluo ne tarderont pas à faire leur apparition.
C'est une révélation pour la jeune Alison. Ce besoin de bouger va prendre de plus en plus de place dans sa vie et elle va se lancer à corps perdu dans divers sports. Que ce soit la course à pied, le ski, le vélo, le karaté ou le yoga, elle va multiplier les pratiques, avec une discipline intense et un besoin de se faire mal, recherchant une forme de plaisir dans la douleur. L'effort n'a de sens que s'il s'accompagne d'une forme de vertige, proche de la méditation.
En fait, quel est le sujet de ce livre ? L'autrice se pose elle-même la question au fil des pages. Elle réalise un autoportrait lucide et pudique, n'ayant pas peur d'exposer défauts et ses névroses, mais sans jamais se laisser aller à l'apitoiement. Elle se montre également très consciente de l'évolution constante qui façonne sa personnalité. Elle articule son livre en chapitres couvrant à chaque fois des périodes de dix ans. La perspective de l'adolescente n'est pas celle de la jeune femme, ni celle de l'adulte qui affronte le spectre de la ménopause. En filigrane, c'est aussi un pan de l'histoire des États-Unis qui apparaît en transparence. Si cet aspect n'est jamais traité de front, l'autrice réussit à faire transparaître les enjeux des différentes époques Elle ne se livre pas à un cours magistral. Elle offre son point de vue, en tant qu'individu, qui se trouve être homosexuelle et artiste. Elle refuse pourtant de se réduire à ces deux attributs. C'est ce qui rend son propose aussi large.
Certains seront sans doute rebutés par l'idée même d'un roman graphique signé par une lesbienne, féministe et intellectuelle qui y mélange de philosophie orientale, érudition littéraire et questionnements psychanalytiques. Ils se priveraient d'un livre extrêmement drôle et touchant qui traite d'un sujet universel : la quête de soi. Il faut également signaler que, après deux livres très sombres, celui-ci se révèle étonnamment léger et frais. L'apport de la couleur, réalisée par sa compagne Holly Rae Taylor y est pour beaucoup. Il s'agit de l'œuvre d'une personne apaisée, qui a trouvé la clé de quelque chose de précieux. Ce n'est pas celle du secret de la force surhumaine. De toute façon, si un tel trésor existe, il faut le trouver par soi-même. Alison Bechdel ne prétend pas détenir la vérité, ni ne se propose de guider ses lecteurs vers une quelconque libération. Elle partage son parcours, avec ses hauts et ses bas, sans prétention. Merci à elle.
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