A
rrivé à l’âge de trente et un ans et vivotant enfin de ses créations, il était temps que Tofépi vole de ses propres ailes. La mise au point de sa mère a été cinglante et le voilà forcé à déménager dans le village voisin à une trentaine de kilomètres. L’indépendance, les responsabilités, la vraie vie, youpie. La solitude aussi. Afin de se remonter le moral, il visite régulièrement le pré aux moutons, une pâture familiale maintenant laissée en jachère.
Troisième (quatrième en comptant Dans ma bulle, un Patte de mouche paru en 2021) épisode des souvenirs autobiographiques de Tofépi, Le pré aux moutons se déroule après Le gars d’Hebdo et Desh. Un premier album à paraître pour Angoulême, une page par mois dans une revue, un zine à alimenter régulièrement, la carrière est en train de décoller tranquillement. Ce n’est pas encore Byzance, mais l’auteur ne meurt pas de faim et, surtout, il est libre de suivre son chemin sans (trop) de contrainte.
Tout pour être heureux ?
Oui et non, car avec cette liberté de choix, l’angoisse et les insécurités partagées pour tous les créateurs pointent immédiatement le bout de leur nez. Ces planches, sont-elles si intéressantes que ça ? Et après, quel projet entreprendre ? Et ces années qui filent toujours plus rapidement, les choses qui s'accumulent, que restera-t-il de tout ça ensuite ? Entre mini-crise existentielle et doute généralisé, le scénariste raconte les insignifiantes non-aventures qui ponctuent ses journées. Un peu de nostalgie, beaucoup de peurs et, quand même, de nombreuses notes d’humour, l’ouvrage détaille un quotidien morne et banal, heureusement éclairé ici ou là de moments de grâce. Dès que l’inspiration se met à couler, c’est une tout autre histoire qui démarre. Tout devient clair et les possibilités sont infinies ! Puis, l’instant d’après, c’est l’heure d’aller faire les courses ou de nettoyer la litière du chat.
Plus graves et plus bavardes que ses œuvres antérieures, Le pré aux moutons est une lecture sincère et incarnée. Un peu à la manière surannée d’un Bruno Heitz, le dessinateur fait revivre son petit coin de pays avec une infinité de tendresse et d’affection. En corollaire, le futur l’inquiète. Le sien bien évidemment, mais aussi celui de ce monde rural si fragile en apparence.
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