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n 1916, les États-Unis ne sont pas encore entrés en guerre. Loin du tumulte qui agite le reste du monde, le pays se rue au cinéma pour voir Birth of a Nation, grande fresque hollywoodienne qui fait l'éloge du suprémacisme blanc. Les agressions racistes et les lynchages augmentent. C'est dans ce contexte trouble que disparaît Jesse Washington, jeune noir souffrant d'un retard mental. Certaines rumeurs laissent craindre le pire. Pour faire toute la lumière sur cette affaire, le sociologue afro-américain W. E. B. Du Bois demande à Elizabeth Freeman, une suffragette reconnue, de mener une discrète enquête sur place, à Waco. Ce qu'elle découvre dépasse en horreur tout ce qu'elle aurait pu imaginer.
L'affaire Jesse Washington est un véritable cas d'école qui a particulièrement marqué les esprits. En plus de la simple ignominie du lynchage, les bourreaux n'hésitèrent pas à documenter leur méfait, allant jusqu'à éditer des cartes postales montrant le corps martyrisé de leur victime. Leur publication dans la presse nationale causera un véritable électrochoc au sein de la population américaine. Encore de nos jours, elle reste une blessure vivace dans la société américaine. Spike Lee y fait encore référence dans BlacKkKlansman.
Comment raconter cette histoire sans tomber dans la complaisance ?
Les auteurs optent pour un parti-pris assez original. S'ils sont très fidèles quant au déroulé des événements, ils utilisent un ton plutôt décalé qui n'est pas sans rappeler les frères Coen. Le récit est horrible, mais ne manque pas de personnages exubérants, comme Elizabeth Freeman, ou pathétiques, à l'image de ce shériff et ce juge, qui, trop occupés à se justifier, ne semblent pas prendre la pleine mesure de ce qui s'est passé. La mise en scène évite également la facilité d'utiliser les clichés d'époque pour relater la mise à mort. Une approche plus allusive et bien plus perturbante est privilégiée. Au lecteur de retrouver de quel film d'Otto Preminger elle s'inspire.
À bien des égards, ce fait divers reste d'une très grande modernité. L'alliance d'un militant des droits civiques et d'une suffragette anticipe la convergence des luttes des minorités. Les violence raciales sont loin d'avoir disparues et le KKK n'en finit pas de mourir alors que les revendications de BLM ne sont pas si éloignées de celles exprimées alors par la NAACP. Waco Horror se révèle un divertissement réussi, porteur d'un vrai propos, délivré avec subtilité. Il ne cherche pas à transposer des luttes actuelles dans un contexte historique. Il ne fait qu'en montrer les racines et mettre en évidence la myopie ambiante.
On va suivre une suffragette dans une Amérique ségrégationniste qui va enquêter en 1916 sur la disparition troublante d'un adolescent black travaillant dans les champs de coton à Waco au Texas.
Cette ville texane a été rendu célèbre par la suite en 1993 par un siège du FBI contre une secte religieuse qui a provoqué la mort de 86 personnes. Bref, un massacre qu'avait assez mal géré le gouvernement Clinton. C'est d'ailleurs considéré comme l'un des événements les plus catastrophiques de l'histoire américaine contemporaine.
C'est d'ailleurs cette ville que vient de choisir Donald Trump pour organiser son premier meeting de campagne électorale en vue de la primaire pour un second mandat. Il a choisi un lieu hautement symbolique qui puisent dans les veines profondes de la haine raciste et également antigouvernementale. Tout est dit.
Pour en revenir à la BD, il s'est malheureusement produit dans le passé un événement tout aussi dramatique à savoir le lynchage de Jesse Washington par des texans blancs et fiers de l'être dans une ambiance de kermesse. Insoutenable ce racisme.
Sur un mode plus léger, on apprendra que la plus ancienne des marques de soda américaine à savoir Dr Pepper est né dans une pharmacie de Waco avec une mise en vente dès 1885.
On apprendra également que le film « Naissance d'une nation » fut considéré comme le premier blockbuster produit à Hollywood. Je n'avais pas idée que ce film servait la cause des ségrégationnistes en faisant par exemple l'apologie du Ku Klux Klan, montrant également que l'esclavage n'a rien de monstrueux étant au contraire une condition souhaitable pour les blacks. Bref, un vrai film raciste et révisionniste. Dégoûtant et insupportable car cette œuvre a eu pour conséquence de justifier des lynchages et autres actes de violence commis à l'encontre des afro-américain.
On fera la connaissance de William Edward Burghardt Du Bois, un sociologue afro-américain militant de la première heure pour les droits civiques. Diplômé de Harvard, il faut le premier professeur d'histoire à obtenir un doctorat. Le racisme était la principale cible de Du Bois et il protesta fermement contre le lynchage. Il va engager notre héroïne à faire son enquête.
Je suis toujours ouvert à ce type de récit méconnu qu'on ressort des limbes de l'histoire pour apporter un nouvel éclairage de ce qui s'est passé au Texas dans cette Amérique-là. Sinon, vivre à Waco, cela ne me tente pas.