A
u commencement était le Verbe.
La Création est parfaite. Vraiment ? Les oiseaux glissaient majestueusement dans les airs, alors que les poissons étaient condamnés à se noyer éternellement. Il y avait de quoi nourrir une certaine amertume, surtout quand ces damnés volatiles n'hésitaient pas à prélever l'une ou l'autre poiscaille pour casser la croute. La révolte couvait, et un reptile enjôleur au discours inspirant y vit l'occasion rêvée pour mettre à mal le parfait équilibre de l'Éden. Il lança quelques paroles bien senties, et les persuada que la libération ne tenait qu'à un mensonge. Mais gare à la colère de Dieu, du genre susceptible quant à la perfection de son œuvre.
Et Pinocchio dans tout ça ?
Patience. Tout vient à point à qui sait attendre.
Cette cosmogonie un peu foutraque aboutit à la Venise de la Renaissance, où le lecteur retrouve le pantin, monte-en-l'air irrésistiblement attiré par un diamant forcément magique. Après un casse audacieux, il se retrouve poursuivi par une sorcière en bien mauvais état. Cette dernière est mandatée par une créature mystérieuse décidée à mettre la main sur un talisman dont le sort de l'univers dépend : le nez de la marionnette. S'ensuit une course-poursuite dantesque, menant le héros des rues de la Cité des Doges à différentes strates infernales, et passant par un monde dystopique cauchemardesque...
Il est difficile de résumer ce récit tant il multiplie les références et les influences. La Divine Comédie y côtoie la commedia dell'arte, en se payant au passage la mythologie grecque et l'Ancien Testament, le tout avec une pointe de Monty Python. De plus, cet imbroglio est emballé dans un style virevoltant, alliant le rythme trépidant des comics à un dessin élégant, inspiré par la ligne claire. Une bonne dose de satire achève ce cocktail détonant.
Autant dire que cette Dernière comédie de Paolo Pinocchio s'affranchit de pas mal de règles pour proposer un voyage narratif déconcertant et ébouriffant, multipliant les ruptures et les rebondissements. En près de deux cents planches, Lucas Varela compose un divertissement très dynamique, qui peut sembler bordélique, mais qui ne perd jamais le cap. Iconoclaste, impertinent et survitaminé, ce récit gagnerait presque parfois à ralentir la cadence pour permettre de respirer. Tanibis a clairement eu du nez en publiant ce roman graphique.
Cette version audio de la chronique vous est proposée par BLYND.
Nous avons un mélange du récit de Pinocchio avec l'histoire biblique du jardin d’Éden en passant également par la divine comédie de Dante. Il fallait le faire ! Evidemment, cela donne quelque chose d'assez original mais de si peu crédible.
Par moment, on vire dans un panachage d'un récit certes survitaminé mais qui part dans tous les sens. Il y a un grain de folie mais avec une telle inventivité et un panache qui force tout de même le respect. Le délire créatif est poussé ici à son paroxysme.
Je ne suis pas fan de ce qui est dans l'absurde mais je dois reconnaître certaines qualités dans ce combat de Dieu contre le Diable et le chaos. On assiste à une sorte de voyage initiatique aux allures bibliques. Il faudra un peu deviner le sens caché pour conserver une certaine cohérence.
Je n'ai pas plus accroché que cela mais je conseille quand même cette lecture au plus courageux des lecteurs. A noter que les poissons joueront un rôle non négligeable.
Le graphisme est par moment assez brouillon avec un éclat de couleurs qui confère à la surdose. Pour autant, il y a une audace de cases assez intéressante. Cela se lit très bien avec une parfaite fluidité pour peu qu'on comprenne quelque chose.
Au final, à découvrir mais à vos risques et périls. Au moins, je ne suis pas un menteur. Vérifiez mon nez !